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et comme coagulé ; il y a à la Chambre un groupe maçonnique, qui se confond presque avec l’extrême gauche et qui, d’autre part, conserve sur les bancs du centre une sorte d’arriére-garde intimidée. Vous pouvez discerner les membres de cette arrière-garde en épiant leurs votes ou leurs abstentions lorsqu’une question religieuse occupe l’assemblée ; leur orthodoxie maçonnique, alors, devient d’une rigidité farouche; et pareils en cela à beaucoup de sénateurs francs-maçons, ils se font pardonner par la constance de leur « anticléricalisme » la lenteur de leurs étapes vers le socialisme. En revanche, un certain nombre de républicains modérés, dont la maçonnerie avait abrité les débuts politiques, ont été évincés des loges ou s’en sont évincés eux-mêmes ; il semble même que, systématiquement, le Grand Orient travaille à leur aliéner les loges avec lesquelles ils garderaient des liens. Quand, au convent de 1895, M. Cocula criait que M. Dupuy devrait être rayé de la maçonnerie[1], et quand, en 1896, M. Dequaire expliquait, avec une allégresse complaisante, que la majorité de la loge le Réveil anicien était hostile à M. Dupuy[2], ils prenaient l’un et l’autre une peine inutile; pour que le perspicace homme d’Etat leur faussât compagnie, il lui suffisait de connaître l’article du Code pénal sur les associations, et M. Dupuy le connaît. On s’est lassé, peu à peu, parmi les membres du Parlement, d’être traités, rue Cadet, comme les commissionnaires d’un syndicat d’intérêts : « Nous avons organisé au Parlement, expliquait M. Blatin au convent de 1888, un véritable syndicat de maçons, et il m’est arrivé, non pas dix fois, mais cent fois, grâce aux signatures des maçons du Parlement, de faire rendre raison à des centaines de maçons[3]. » Il est des stratagèmes qu’on n’ébruite point : le rural fraîchement initié qui lit M. Blatin sait que, là-haut, les maçons travaillent pour lui ; mais le député, qui s’ennuie de sentir qu’il n’est qu’un corvéable, est tout proche, ce jour-là, d’envier et d’imiter la courageuse indépendance de M. Jules Legrand, le sous-secrétaire d’Etat actuel, qui, du jour où les électeurs de Bayonne l’eurent fait représentant de la nation, fit savoir à la maçonnerie, par une lettre de congé rendue publique, qu’ils étaient désormais ses seuls maîtres.

  1. B. G. O., août-sept. 1895, p. 344-345.
  2. C. R. G. O., 21-26 sept. 1896, p. 73. — D’après la Revue maçonnique; octobre 1896. p. 230, le refus d’une faveur administrative, opposa par M. Dupuy à un membre influent de cette loge, aurait déterminé ce courant d’hostilité.
  3. B. G. O., août-sept. 1888, p. 529.