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ne pouvait être la création d’une fantaisie érudite. Pour susciter les grandes œuvres anonymes il avait fallu une grande force collective.

Le premier qui le comprit fut Victor Hugo lui-même. Le poète de Notre-Dame, parlant en son propre nom, laissa bien loin derrière lui les curiosités diaboliques où se complaisait son archidiacre, pour élargir le débat magnifiquement. Une impression violente éprouvée en présence de quelques monumens puissans, le souvenir démesurément grossi de quelques sculptures grotesques et de très rares figurines obscènes : il n’en fallut pas davantage au redoutable créateur pour ébaucher toute une histoire épique des cathédrales. L’église gothique n’appartenait plus aux prêtres, comme l’église romane : elle était « à l’imagination, à la poésie, au peuple. » La force qui avait élevé cette architecture n’était pas la force d’une tradition ; la pensée qui animait cette sculpture n’était pas une pensée chrétienne. « Quelquefois, écrit Hugo, un portail, une façade, une église tout entière présente un sens symbolique absolument étranger au culte, ou même hostile à l’Eglise. » Il semble que l’esprit laïque, émancipé du joug, s’attaque au sacerdoce sur les murailles mêmes du temple. Emerveillé de sa propre antithèse, l’archéologue improvisé mêlait dans ses oracles les divinations les plus lucides aux erreurs les plus matérielles, et, après avoir salué dans la cathédrale une œuvre de liberté, il finissait par admirer en elle une œuvre de révolte.

Cependant, au moment même où Victor Hugo imposait à l’art du XIIIe siècle une laïcisation rétrospective, un modeste et pieux artiste pénétrait la vie profonde des œuvres dont il reprenait la tradition, en se faisant lui-même tailleur d’images et verrier. La littérature ecclésiastique du moyen âge, à laquelle Didron demandait des lumières pour restaurer les statues mutilées et les vitraux brisés, lui révéla la signification de tant de figures mystérieuses au milieu desquelles il travaillait chrétiennement. En face du chapitre tumultueux de Notre-Dame de Paris, la grave et sereine préface de l’Histoire de Dieu vint témoigner que les cathédrales n’étaient ni sceptiques ni rebelles à l’Église, et que l’iconographie de leurs innombrables figures avait sa clef dans la théologie catholique. Ainsi, en moins de vingt ans, les deux opinions extrêmes sur le sens et la portée de l’art français du XIIIe siècle avaient été en France formulées avec éclat.

Le débat a continué depuis lors, parmi les rares savans qui