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réalité n’est pour le scolastique qu’une apparence; tout ce que nous considérons comme pure abstraction est pour lui une vertu vivante. La connaissance profane de la nature et de l’histoire n’est qu’une vaste illusion; les phénomènes et les faits dont nous croyons apercevoir les causes ne sont que des énigmes dont seule la religion connaît les mots. Ainsi la science, telle que nous l’entendons, ne peut être pour la théologie qu’une servante ignorante. N’est-il pas évident que l’art lui aussi doit être le serviteur docile de la pensée souveraine? Les ouvrages de nos mains, comme les choses créées, seront intelligibles pour ceux-là seuls qui auront appris à reconnaître dans ces combinaisons de la matière les jeux des nombres mystiques et les leçons de la révélation divine. L’art, comme le monde entier, ne peut exister que pour attester la vérité suprême, énoncée par l’apôtre et qui résumait d’avance toute la science du moyen âge : « Les choses visibles sont les signes des choses invisibles. »

Préparé à l’analyse des cathédrales par le commerce de tels livres, doit-on s’en tenir à cet idéalisme parfait, et faut-il se mettre à chercher, dans chaque membre d’architecture et dans chaque détail de sculpture, le sens spirituel qu’un Guillaume Durand, décrivant la Sainte Messe, explique à propos du moindre ornement de l’autel? En revenant devant l’édifice honnêtement bâti de bonne pierre, avec nos yeux éblouis par une architecture d’idées, devrons-nous refuser de décrire ce que nous voyons, pour transcrire en symboles lointains tout ce travail d’ouvriers et d’artistes? On le voit : du premier coup nous touchons à la question même dont Viollet-le-Duc et Didron nous ont laissé des solutions contradictoires : si, à travers cette pierre massive, nous n’atteignons pas un monde surnaturel, à quoi bon nous être mis à l’école de ceux qui savaient les nombres et les symboles? Si d’autre part nous ne lisons dans l’œuvre d’art que des vérités abstraites, sommes-nous certains de ne pas dépasser dans nos spéculations les intentions des hommes qui ont tenu le compas et le ciseau? Enfin si, tentant une conciliation, nous prétendons faire la part de ce qui a pu être dicté par les prêtres ou inventé par les artistes, en vertu de quel principe affirmerons-nous que tel détail n’offre aucun sens mystique et que tel autre prêche toute une doctrine? Pour partager l’édifice entre l’artiste et le théologien, les connaissons-nous également? La pensée de l’Eglise est consignée dans les livres; mais comment deviner celle du laïc, de