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les deux récits qui correspondent aux deux grandes époques de l’année liturgique, Noël et Pâques.

Il est donc certain que les grandes églises du XIIe et du XIIIe siècle témoignent de la soumission avec laquelle les artistes ont suivi les indications des clercs. Viollet-le-Duc lui-même avait avoué que tel portail lui semblait un « poème de pierre ; » M. Mâle plus nettement a prouvé qu’un portail de Laon était un sermon. Ce point acquis, il faut avouer que nous savons encore peu de chose. Le prêtre donne sa science, le sculpteur son talent. Mais quand l’homme de métier s’est fait expliquer le texte, qu’il a tant bien que mal compris le symbole, qu’il sait la place d’une figure dans une hiérarchie d’allégories, qu’il connaît l’attribut que l’on doit mettre dans la main d’un saint, reprend-il sa liberté? En d’autres termes l’autorité de l’Eglise s’arrête-t-elle au moment où l’idée reçoit un corps? Le sens moral et métaphysique d’une scène ou d’une figure appartient au théologien; la composition, les attitudes, les expressions appartiennent-elles à l’artiste? C’est ici qu’une décision s’impose. Car enfin Leonardo Bruni d’Arezzo a fourni un « livret » pour la disposition des sujets sur la seconde porte du Baptistère de Florence, qui devait être modelée et fondue par Lorenzo Ghiberti ; des savans et des platoniciens de la cour des Médicis ont donné plus d’une idée subtile à un Botticelli. Et cependant personne ne songe à prétendre que l’art italien du XVe siècle soit le fils légitime de l’humanisme, tandis que M. Mâle affirme positivement qu’au moyen âge, la religion a donné naissance à l’art, et que « la pensée chrétienne s’est créé des organes. »

À l’en croire, l’autorité de l’Eglise intervenait jusque dans la réalisation de l’œuvre d’art. Non seulement les artistes recevaient par l’intermédiaire d’un prêtre un peu de la tradition théologique ; mais encore une tradition iconographique se transmettait d’ateliers en ateliers et de chantiers en chantiers par des manuels, où les figures et les « histoires » les plus communes étaient décrites ou dessinées. Il y aurait eu au XIIIe siècle, en France, comme plus tard en Grèce, un Guide de la peinture, dont les prescriptions auraient été scrupuleusement suivies. « Ce livre, dit M. Mâle, en étudiant de près les œuvres d’art du XIIIe siècle, nous pourrions presque le refaire. »

Il est inutile de reconstituer a priori ce manuel imaginaire, car nous avons l’original d’un Memento, comme en possédaient au XIIIe siècle les chefs d’ateliers. C’est le fameux album de l’architecte