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sortent de ce monde des êtres sans pensée, plantes ou bêtes, qu’ils sont libres d’animer à leur guise, tombent aussitôt sous le joug d’une double tradition, celle des docteurs qui leur proposait les idées à traduire, et celle des miniaturistes qui leur impose la forme même de la traduction. Or il est facile de montrer que cette conception de l’art au XIIe et au XIIIe siècle ne tient pas compte d’un événement capital de l’histoire des arts.

Les docteurs n’ont rien inventé ; leurs Sommes ne font que totaliser la richesse entière d’une science déjà séculaire. M. Mâle l’a dit mieux que personne : « Isidore de Séville résume les Pères, Bède le Vénérable s’inspire d’Isidore de Séville, Raban Maur de Bède le Vénérable, Walafried Strabo de Raban Maur, et ainsi de suite. » La tradition se continue dans la littérature ecclésiastique depuis saint Augustin jusqu’à Vincent de Beauvais, sans un arrêt, sans un progrès.

En est-il de même pour l’art du moyen âge ? Son développement s’est-il opéré avec cette simplicité uniforme ? Et, quand on considère les cathédrales comme l’expansion dernière d’un art religieux entraîné au moins depuis l’an Mil dans une évolution pacifique, n’oublie-t-on pas qu’entre le XIe et le XIIIe siècle s’est produit dans l’art français une révolution ?


IV

La révolution dont je parle est le fait suivant : dans le cours du XIIe siècle l’iconographie religieuse, qui depuis l’époque carolingienne n’avait pas eu en Occident d’autre moyen d’expression que la miniature et la peinture murale, passe tout entière, en France, aux vitraux et aux sculptures. L’importance de cette constatation échappera peut-être tout d’abord, tant l’habitude est prise de traiter les questions iconographiques à part des questions techniques. Mais j’espère prouver, par un exemple remarquable, l’insuffisance de la méthode ordinaire, qui consiste à étudier la série des sujets, en faisant abstraction des matières fort diverses où ils se trouvent représentés.

On connaît de reste l’expansion qu’a prise en France au XIIe siècle l’art des peintres verriers, et chacun sait que le développement de la peinture sur verre suivit naturellement la transformation rapide d’une architecture qui tendait, avec une logique irrésistible, à nourrir et à fortifier ses élémens actifs au détriment de ses élémens