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de bronze et la colonne d’Hildesheim, fondues sous la direction de saint Bernward au début du XIe siècle, sont couvertes de figurines grandes comme la main. Dans ce travail d’ouvriers patiens, tout souvenir de la grande plastique a fini par s’éteindre, et les ouvriers d’Hildesheim ont pris pour modèle de leurs scènes bibliques, non des reliefs anciens, mais des miniatures de manuscrits.

À voir la sculpture ainsi réduite à décorer seulement le mobilier d’église, écartée des parois où la peinture enseigne au peuple l’histoire et le dogme, condamnée enfin à ne faire sortir de la pierre ou du marbre que des rinceaux, des entrelacs ou des monstres, il semble qu’une malédiction chrétienne ait desséché l’art qui avait le plus magnifiquement glorifié les faux dieux. Sans doute les Pères du second concile de Nicée n’avaient point excepté la sculpture, dans la réhabilitation solennelle des saintes images, et les docteurs orthodoxes n’avaient pas manqué d’opposer aux iconomaques cette statue de bronze qui avait été élevée au Christ par l’hémorroïsse, après sa guérison, et qu’Eusèbe avait vue dans la ville de Panéas. Au milieu de la grande lutte de doctrine à laquelle les évêques de France et de Germanie prirent part eux aussi au temps de Charlemagne, les adversaires condamnent ou défendent sans distinction tous les arts plastiques. Mais, quand les passions furent éteintes, les prêtres français les plus éclairés séparèrent nettement, dans leur conception de l’art religieux, sculpture et peinture. Nous avons sur ce point un témoignage du plus haut intérêt.

En l’an 1020, un écolâtre de Chartres, Bernard d’Angers, qui faisait avec un de ses amis un grand voyage de pèlerin dans la région limousine et toulousaine, visita les sanctuaires fameux d’Aurillac et de Conques. Il vit là, sur les autels, les deux statues qui renfermaient les reliques de saint Gérald et de sainte Foy. C’étaient des simulacres d’or pur, en ronde bosse, avec de gros yeux de pierres précieuses dont l’éclat surhumain frappait les paysans de terreur. L’écolâtre cria au scandale : « Que dis-tu, mon frère, de cette idole? N’est-ce pas Jupiter ou Mars? Diane ou Vénus? » Cette indignation n’est pas chose neuve, et l’on trouverait dans les écrits des adversaires des images, comme Claude de Turin, contre lequel Agobard de Lyon écrivit tout un traité, des paroles aussi virulentes contre « ces restes du culte des dieux ou plutôt des démons. » Ce qui est bien autrement important, c’est que Bernard d’Angers, en racontant pieusement son pèlerinage,