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La Ligue des Droits de l’Homme et du Citoyen s’est fondée la première : elle s’est donné pour mission de veiller à l’exacte observance des principes propres à assurer en justice les droits de la défense. À tort ou à raison, elle croyait fortement à son opportunité; elle s’imaginait rendre d’inappréciables services, et il n’aurait pas fallu la presser beaucoup pour lui faire avouer qu’elle était le dernier refuge de la justice et de la vérité. Son bureau était composé d’hommes fort distingués : aussi laissait-elle dire avec complaisance que tous les « intellectuels » étaient de son côté. Il n’en était rien. D’autres « intellectuels, » qui n’étaient inférieurs ni en qualité, ni même en nombre, ont fini par se lasser et s’irriter un peu d’entendre répéter cette affirmation inexacte. Ils ont voulu se grouper et parler à leur tour. Des motifs encore plus puissans les y portaient. Ils avaient cru remarquer qu’au milieu des luttes de ces derniers temps, du trouble qui en était résulté pour beaucoup d’esprits, de l’inquiétude qui s’était emparée de certaines consciences, l’idée même de patrie s’était obscurcie dans la fumée de la bataille, ou, comme ils disaient, qu’elle avait fléchi. C’est pour la redresser et la soutenir qu’ils ont fondé leur ligue, et ils l’ont fait au grand jour. Le gouvernement a assisté impassible à la naissance de toutes ces associations. Un jour, sans que rien eût fait prévoir cette mesure, elles ont été assignées à comparaître en police correctionnelle. Du moment qu’elles étaient assignées, elles devaient être condamnées, car elles avaient incontestablement violé l’article 291 du Code pénal. Toute l’éloquence de leurs défenseurs n’y pouvait rien : le juge, qui ne connaît que la loi, était obligé de l’appliquer. Mais il l’a fait dans les conditions les plus bénignes, et a condamné les délinquans à une amende de 16 francs : encore leur a-t-il appliqué la loi Bérenger. Deux choses apparaissent ici tout de suite, et, moralement, se compensent et s’atténuent : d’une part, la brutalité de la poursuite, et de l’autre, la modicité de la peine. Loin de nous la pensée qu’il y ait eu dans le résultat final une surprise pénible pour le gouvernement! Non: le ministère public a parlé avec une extrême modération ; il ne demandait et ne voulait pas plus qu’il n’a obtenu ; c’est seulement pour le principe qu’il combattait, et il y a apporté beaucoup de ménagemens envers les personnes. Néanmoins, les poursuites avaient quelque chose de rude et de brusque, qu’il aurait été plus habile d’éviter. Et rien n’aurait été plus facile. Si le gouvernement, pour un motif quelconque, ne voulait pas tolérer plus longtemps l’existence des Ligues, que n’en a-t-il pas averti leurs bureaux? De deux choses l’une : ou les Ligues auraient cessé de se réunir et le but aurait