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toujours de même avec confiance, qu’il jouât sans inquiétude, que l’argent ne lui manqueroit pas, et qu’il n’étoit de nulle importance à des gens comme eux de perdre[1]. » Ceci se passait en mai 1700, et nous ne voyons point en effet dans le Journal de Dangeau que le duc de Bourgogne ait, à la suite de cet embarras, interrompu son jeu.

Cette période, sinon d’entraînement (le mot serait peut-être exagéré), du moins de dissipation dans la vie du jeune prince, dura environ deux ans. Ce fut peu à peu que des scrupules sur l’existence qu’il menait s’élevèrent dans sa conscience et finirent par l’envahir complètement.

La grave maladie que fit au mois d’avril 1701 la duchesse de Bourgogne et la crainte où il fut de la perdre paraissent avoir été pour quelque chose dans ce changement. Par cette lettre qu’il adressait à Beauvilliers. alors aux eaux, on verra que cette maladie lui apparut comme une juste punition de son refroidissement.


Marly, 11 avril 1701.

Dieu m’a fait bien des miséricordes, mon cher Duc, dont vous avez été le témoin; mais il m’en fit encore hier matin une qui m’est bien sensible et dont je ne cesse de le remercier. Je fus à une heure près de perdre Mme la Duchesse de Bourgogne. Jugez quel coup ç’auroit été pour moi. Une fièvre qui lui avoit commencé le dimanche 7 la mit à la mort le mercredi 10 au matin, et, sans l’hémétique qu’on lui donna à propos, elle ne pouvoit passer la journée. Il y avoit déjà du temps que sa tête s’embarrassoit ; elle étoit dans une espèce de léthargie et auroit eu bientôt un transport au cerveau. J’étois dans une douleur profonde. Je me mis à prier Dieu ; je détestai en sa présence mes péchés, car je crois avec fondement que Dieu m’en punissoit par là. Je le priai de rejeter tout sur moy, et d’épargner cette pauvre innocente, que, si elle avoit commis des péchés, d’en rejeter sur moy l’iniquité. Il eut pitié de moy, et, Dieu merci, Mme la Duchesse de Bourgogne est absolument hors de danger. Je ne cesse de remercier Dieu de ce bienfait, car il est visible qu’il a voulu me punir, mais qu’il a arrêté sa colère et qu’il a eu pitié de moy.

Je vous citerois ici une quantité infinie de passages de l’Écriture Sainte que je me suis appliqué tous en cette occasion. Mais je me contenterai de dire avec David : Misericordias Domini in aeternum cantabo. J’ai renouvelé en cette occasion toutes mes bonnes résolutions. Dieu

  1. Dangeau, t. VII, p. 309.