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bordent à gauche et à droite et tuent le général autrichien Burdina. Dans leur élan, sans songer à leur petit nombre, ils s’avancent sur la route de Magenta. Giülay envoie une nouvelle division (Reieschach). Qu’importe ? Si Mac-Mahon arrive, on s’en tirera. Mais tout à coup (deux heures), ce canon vers lequel on marchait, ce canon d’appel qui serait devenu le canon de secours, ce canon qui avait donné le signal de l’engagement, au lieu de se rapprocher, se tait. Et l’ennemi grossit toujours, il en vient de tous les côtés, jusqu’à 25 000. Entre grenadiers et zouaves les nôtres sont à peine 5 000. Et néanmoins ils ne rompent pas d’une semelle. Obligés d’abandonner le pont, ils se retranchent dans les maisons environnantes et s’y cramponnent avec une indomptable ténacité ; leur nombre décroît ; un de leurs chefs aimés, le général Cler, est tué ; Wimpffen blessé ; à la masse qui les assaille en face s’en ajoute une autre, venant par la route d’Abbiategrasso, qui va les tourner ; tout semble perdu ; ils tiennent bon, ils tombent les uns sur les autres, pas un ne recule. Notre vieille terre de vaillance et d’honneur n’a pas produit d’enfans qui aient porté sa gloire plus haut.

Pendant ces heures effroyables, l’Empereur, immobile entre le pont de Buffalora et le Naviglio, au centre du combat, craignant que Mac-Mahon, qui ne donnait plus signe de vie, n’ait été écrasé, l’âme dévorée d’angoisse, brûlé d’une fièvre intérieure, assistant, sans moyens de l’arrêter, à l’hécatombe de tant de braves, se demandant si sa fortune et celle de la France n’allaient pas s’écrouler dans un épouvantable effondrement, ne laisse percer aucune émotion sur son visage impassible, et par le calme stoïque de son attitude maintient et exalte les courages. Aux messagers réclamant des secours qu’il ne peut accorder, il répond d’un ton ferme : « Tenez toujours ! » Il expédie des officiers d’ordonnance à Niel, à Canrobert, à Mac-Mahon, à Victor-Emmanuel ; il envoie l’artillerie de la Garde au soutien des grenadiers.

Enfin (trois heures et demie) un premier sauveur se montre, le général Picard, du 3e corps. Il avait eu les plus grandes difficultés à arriver. Les impedimenta des troupes de première ligne n’ayant pas été rejetés en arrière de celles de seconde ligne, la route de Novare au Tessin était obstruée de voitures pressées sur cinq rangs qu’on ne pouvait écarter ni à gauche ni à droite, car la route était construite en chaussée. Les soldats, obligés de se glisser homme par homme à travers les voitures, accouraient au pas de