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de rations. » Comment ne réussirait-on pas à nourrir 100 000 hommes et 30 000 chevaux dans un pays dont les ressources suffisaient à plusieurs millions d’habitans[1] ? »

Malgré ces recommandations, l’Empereur n’ose se fier, pour l’entretien de son armée, aux fournitures locales. Il ne sera tranquille que s’il sent derrière lui une forte réserve. Il conjure de faire des efforts inouïs pour fabriquer du biscuit et ramasser du fourrage, et d’envoyer biscuit et fourrage à Gènes par des bateaux à vapeur.

Il s’occupe surtout du déploiement stratégique de son armée. Il a trouvé ses troupes disséminées en une ligne étendue le long du Pô, de Castel-Nuovo à Casai. Cette dissémination ne se justifiait même pas par la nécessité de défendre le Pô. On ne défend pas plus un cours d’eau qu’une frontière en s’étendant tout le long comme des petits paquets de douaniers. Ce qui est protégé partout ne l’est nulle part; c’est en se concentrant en forces sur une position centrale qu’on est toujours prêt à fondre sur le point menacé et à le couvrir.

L’Empereur avait retenu le conseil de son oncle à Masséna. « Je ne puis trop vous recommander de ne pas vous disséminer. » Et il prescrivit un resserrement général. Il disposa l’armée en deux fortes masses séparées par le Tanaro : sur la rive gauche, à Casai, les Piémontais; à Valenza, le 4e corps; à Alexandrie, la garde; sur la rive droite, à Pontecurone, Voghera et Castel-Nuovo, le 1er corps; à Sale, le 2e ; à Tortona, le 3e.

Pendant toute la durée de la campagne, l’Empereur s’efforça de maintenir cette concentration du début, et, malgré les difficultés d’approvisionnemens et de marches qu’une telle disposition entraîne, de garder ses corps toujours rapprochés les uns des autres, de manière qu’ils pussent facilement se soutenir.

Ces dispositions furent complétées par l’ordre donné au prince Napoléon de débarquer à Livourne avec la division Uhrich et une brigade de cavalerie. Cette mission était exclusivement politique. Le Prince devait protéger la Toscane, à peu près désarmée, contre un retour offensif des troupes autrichiennes de Bologne,

  1. « Avec de la viande, du riz, des haricots, des lentilles, des pommes de terre, des navets et de la farine, le soldat est très bien nourri ; il se peut passer de pain pendant vingt et trente jours que durent les marches; nous sommes les mêmes hommes que les Grecs et les Romains; nous pouvons faire, nous avons fait ce qu’ils faisaient. » Napoléon, Notes sur l’art de la guerre.