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génies n’ont plus ni valeur ni signification. Ils valent par leur union avec l’esprit humain. Les vérités relatives qu’ils ont découvertes deviennent des erreurs quand elles sont séparées; elles ne sont des vérités qu’à la condition que, reprises et transformées, elles se perfectionnent encore. Ce ne sont des vérités supérieures que par la comparaison avec celles qui avaient été aperçues auparavant. Le moi, c’est être attiré vers le non-moi. Qu’est-ce que ce non-moi? Ce ne peut être Dieu, car alors nous serions Dieu; ce ne peut être la nature, car alors nous ne serions pas même des hommes. Reste que ce soit l’humanité. Vous êtes tournés vers vous-mêmes. C’est ce qu’exprimait cette belle formule de G. Saint-Hilaire : « L’attraction de soi-même vers soi-même. » Mais être tourné vers soi-même, c’est être tourné vers l’humanité. Il y a une harmonie préétablie entre l’homme et l’humanité. Ces deux termes sont identiques en Dieu.

La définition de l’homme donnée plus haut, à savoir que l’homme est à la fois et indivisiblement sensation, sentiment, connaissance, ne s’applique qu’à l’homme individuel. Il en faut une autre pour l’homme vivant; c’est celle-ci : l’homme est perfectible, la société est perfectible, et le genre humain est perfectible. Cette doctrine de la perfectibilité est en même temps la doctrine de l’humanité. Pierre Leroux cite cette parole : « L’âge d’or n’est pas derrière nous, mais devant nous, » maxime qu’il attribué à Saint-Simon, quoiqu’elle soit de Bacon. Il s’appuie sur le célèbre morceau de Pascal que le genre humain est comme un homme qui grandit toujours et qui apprend continuellement. Cette doctrine de la perfectibilité n’avait rien de bien original. Tout le monde, depuis Turgot et Condorcet, professait la doctrine du progrès. Mme de Staël l’avait appliquée à l’histoire littéraire. Le point le plus important de la doctrine de Pierre Leroux est donc sa théorie de l’humanité. L’homme ne reste pas à l’état subjectif, comme le veulent les philosophes de l’Ecole. Il a une vie objective. Il se rattache au monde et à ses semblables. Il vit, à la fois, en lui et hors de lui. L’homme ne se conçoit pas sans famille, sans patrie, sans propriété. Les trois termes de la trinité sociale correspondent aux trois termes de la trinité psychologique; à la sensation correspond la propriété, au sentiment la famille, à la connaissance l’État. Quelques sectes exaltées voudraient sacrifier à l’humanité ces trois termes : propriété, famille et patrie. Pierre Leroux proteste contre cette immolation. Les moines ont essayé