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sa philosophie. Nous en rappellerons seulement quelques-uns, car cet auteur est si prolixe, si surabondant, que les énumérer tous serait s’exposer à d’interminables redites. Nous citerons surtout l’Essai sur le Bonheur, dont Pierre Leroux a fait une Introduction au livre de l’Humanité, quoiqu’il ait été écrit antérieurement et n’ait qu’un rapport indirect avec le reste de l’ouvrage ; un long article de l’Encyclopédie nouvelle sur la Doctrine de la perfectibilité, et réimprimé dans le premier volume de ses Œuvres complètes, qui sont demeurées incomplètes, puisqu’il n’y a jamais eu qu’un volume ; enfin Trois Discours adressés aux philosophes, aux artistes et aux politiques.

L’Essai sur le Bonheur est un des meilleurs écrits de Pierre Leroux. Il est plus clair, plus solide, moins improvisé que la plupart de ses autres écrits. C’est un travail tout à fait philosophique, et qui peut se rapprocher des autres écrits composés sur ce sujet par les anciens et par les modernes. Il commence par établir deux propositions principales qui ne sont neuves ni l’une, ni l’autre. La première, c’est que le bonheur absolu n’existe pas. Depuis Job, que de plaintes sur la tristesse de la condition humaine ! Salomon, après avoir énuméré toutes les félicités de la vie, conclut en disant que tout est vanité. Pindare a dit que « la vie de l’homme est le rêve d’une ombre, » et Shakspeare, que le « bonheur, c’est de ne pas être né. » Epicure lui-même, qui passe pour avoir fait du bonheur le but de la vie, a dit que le bonheur n’est que dans la mémoire des plaisirs passés. Horace a dit : Linquenda tellus, et domus, et uxor. Voltaire s’écrie : « Bonheur, chimères… Le bonheur n’est pas fait pour ce globe détraqué. Cherchez ailleurs. » Il a réfuté le système de Pope et de Bolingbroke, qui disent que tout est bien. Byron et les poètes modernes ont fatigué nos oreilles de lamentations, qui sont comme un chant de l’Enfer. D’ailleurs cela est évident : pour ne pas souffrir, il faudrait ne pas aimer, et ne pas aimer, c’est la mort. Enfin saint Paul a dit : Omnis creatura ingemiscit. Il suit de toutes ces maximes que la sagesse est de ne pas croire au bonheur. Nous ne pouvons vivre, penser, sentir qu’en rapport avec le monde extérieur. Or le monde extérieur est soumis à ses propres lois, le monde change sans cesse, sans se préoccuper de nous. Il en est de même de notre vie intérieure ; elle change aussi continuellement. La condition du bonheur serait d’être stable ; mais cette stabilité est impossible. « homme ! s’il est vrai que tu aies commencé