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qui perd nos Salons, aujourd’hui, ce n’est pas le trop de sélection ou l’erreur de sélection, mais l’absence de sélection. Ce qui empêche certaines belles œuvres d’y être mises, ce n’est pas un jury qui les écarte, mais l’indifférence des artistes qui s’en écartent eux-mêmes et préfèrent exposer en de petits sanctuaires. Ce qui empêche le public de les admirer, c’est la fatigue de regarder sept ou huit mille objets d’art, le découragement de n’y trouver que peu d’impressions fortes ou nouvelles, l’incertitude, l’incohérence et le désarroi de tant de marches et de contremarches. Jadis, au milieu du siècle, on a éprouvé l’inconvénient des expositions fermées. On sent maintenant celui des portes ouvertes. On le sent si bien que, çà et là, les artistes parlent hautement de ressusciter l’ancien Salon réduit à mille à quinze cents œuvres, la collection des ouvrages des membres de l’Académie royale — aujourd’hui Académie des Beaux-Arts. Cette idée soulève de vives protestations ; mais il est bien remarquable que ceux mêmes qui protestent ouvrent à tout instant, au cœur de Paris, de petites expositions de groupes, qui ne sont que des académies en herbe. D’ailleurs, bien au-dessus des voix individuelles de la critique, s’élève la clameur du public : c’est un bazar, ce n’est plus un Salon ! Pour le salut de l’Art français, en dépit des intérêts froissés ou des amours-propres surpris, une transformation radicale s’impose. — Ou le Salon sera une sélection d’Art, ou il ne sera plus rien pour l’Art.

En attendant que cette sélection s’observe dans les salles de l’Exposition, nous demandons la permission de l’observer dans les pages que nous lui consacrons. Nous ne chercherons pas à tout voir, mais à ne voir presque rien ou peu de chose, — et à le regarder. Les raisons qui nous ont fait prendre ce parti, l’année dernière, ne sont pas moins fortes, cette année. Elles le sont davantage. Le nombre des objets d’art défie toute analyse. La dispersion des écoles et des tentatives déborde toute synthèse. L’échec de toutes les théories et notamment des mouvemens prétendus « modernistes, luministes » passe toute prévision. On voit remettre en honneur les sujets de la plus antique banalité, traités selon les formules qu’on croyait avoir proscrites et qui n’étaient qu’oubliées. Çà et là, des Romains s’entre-tuent comme au temps de Lethière. Des Bonapartes caracolent comme aux jours de Gros. La Provence, qui avait si longtemps été délaissée pour Chatou ou Ville-d’Avray, redevient le « motif n° 1 » des paysagistes. Les