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en littérature, par ce mot « sujet » : une « anecdote quelconque superficiellement sentimentale ou même un grave sujet d’histoire ; » mais que c’est simplement « une impression d’âme, un sentiment d’ivresse, de douleur, de puissance ou de fraîcheur, de sérénité, de candeur, de gaieté même, enfin toute émotion capable d’inspirer un peintre. C’est, a-t-il continué, ce que j’appelle le sujet esthétique : l’autre, le sujet accidentel qui vient s’y adapter, n’est qu’un prétexte ! »

Le poète insistant, il a terminé ainsi : « L’artiste conçoit d’abord une impression. C’est la vraie création. Il cherche ensuite quel titre il lui donnera. Parfois le sujet accidentel se présente d’abord à son esprit, mais il n’existe, en tant que valeur d’art, que lorsqu’il entraîne avec lui l’idée esthétique qui seule lui donne son prix ! » — Ayant tout dit, le Breton peintre est revenu devant sa toile et y a peint le sujet que lui avait suggéré le Breton poète.

Car presque tous ses tableaux réunissent à la fois l’idée esthétique et le sujet littéraire, et notamment les deux qu’il expose cette année. Dans le Cri d’alarme, comme déjà dans l’Incendie d’une meule peint en 1856, le sujet littéraire est celui qu’il décrit ainsi dans Un peintre paysan : « Quelle stupeur, par le grand silence des champs, si profond qu’on entend passer les mouches et craqueter le blé, lorsque, dans l’immobilité d’une sorte de sommeil farouche, retentit le premier cri : « Au feu ! » Cri formidable quoique étranglé par la terreur ! Tous l’entendent ; tous sont aussitôt dans la rue… » Mais il y a aussi un sujet esthétique. C’est le ton lourd du ciel tacheté, dans ce plein soleil lugubre, l’embrasement de l’air, les visages des paysans rougis de la double clarté confondue du feu de la terre et du feu du ciel, si ardent que le laboureur qui court met sa main sur ses yeux pour ne pas être ébloui ; c’est la grimace des figures appelant à l’aide, tordues par la hâte et par la peur. C’est l’agitation désordonnée des silhouettes dans ces paysages où la vie ordinaire ne met que des silhouettes calmes en des mouvemens prévus, tandis que, perçant l’air violet, les hirondelles tracent dans le ciel leurs indéchiffrables paraphes, d’un vol souple, inlassable et strident.

À côté, c’est encore un sujet littéraire que l’Heure secrète, le jardin de la ferme, à la nuit, au moment où, dans la Terre qui meurt, la Rousille décrite par M. René Bazin rencontre son Jean Nesmy. Mais c’est aussi un sujet esthétique. C’est l’enchantement de la lune jaune versant un flot violet sur les parures de