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respire avec bonheur, sans pouvoir tout d’abord en déterminer le caractère. Une phrase qu’on n’a pas entendue commencer est déjà maîtresse de l’auditeur au moment précis où il la remarque ; une autre, qu’il n’a pas vue s’évanouir, le préoccupe encore quelque temps après qu’il a cessé de l’entendre. » Cela n’est pas vrai de tout Obéron, mais, en ce qui concerne la scène de Rezia, c’est la vérité même. Ici la mélodie ressemble au cercle de Pascal : le centre en est partout et la circonférence nulle part. Elle annonce déjà la mélodie wagnérienne, celle qu’on a appelée infinie. Il existe entre certaines parties de cet air et le monologue de Siegmund, au premier acte de la Valkyrie, une analogie qui va parfois jusqu’à l’identité. La situation d’abord est à peu près la même. Siegmund, ainsi que Rezia, vient d’échapper à la tempête, et sur le tronc du frêne qui porte le toit hospitalier, il aperçoit tout à coup une flamme propice, comme elle voit se lever le soleil au-dessus de l’Océan calmé. Or ce fait, à la fois matériel et psychologique ou moral, une clarté soudaine éveillant une soudaine espérance, Weber et Wagner l’ont exprimé par des moyens étonnamment pareils. Tout leur est commun : rythme, tonalité, mélodie, instrumentation, et les mêmes notes de l’accord parfait d’ut majeur, lancées par la même trompette, donnent le même éclat au motif de l’épée dans la Valkyrie et, dans Obéron, au motif de l’aurore. Que dis-je ? Les moindres détails, les nuances les plus fines du sentiment et de la musique se ressemblent, et dans les modulations, dans les cadences du chant de Siegmund, lorsque pâlit la flamme du glaive, nous retrouverons l’inquiétude et la défaillance de Rezia doutant si ce n’est point la dernière fois qu’elle voit paraître le jour.

Obéron fait penser à Tannhaüser, à Lohengrin aussi, comme à la Valkyrie. Le premier finale d’Obéron (Huon s’élançant à la conquête de Rezia) semble une esquisse du premier finale de Lohengrin. Et le héros de Weber n’est-il pas, de même que celui de Wagner, un héros libérateur ? Non, il ne l’est pas de même : Huon n’a que l’habit d’un héros, Lohengrin en aura l’âme. Lohengrin possédera dans sa plénitude et portée à son comble, une vie, un être moral, dont les fantoches d’Obéron sont totalement dépourvus. Huon et Rezia, Lohengrin et Elsa ! Voyez, malgré certaine analogie entre les faits, combien les deux couples sont inégaux. Rezia, délivrée matériellement, arrachée aux harems de Bagdad et de Tunis, cela est tout Obéron ; mais le salut, matériel aussi, d’Eisa, le triomphe de son innocence devant le tribunal du Roi, n’est que le commencement de Lohengrin. On aperçoit tout de suite, et sans qu’il soit besoin d’y insister, de quels élémens à la