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captive volontaire, avait distrait sa solitude de l’espérance réitérée, et plusieurs fois déçue, d’un héritier de son nom. Dès la fuite de Blois, Luynes s’était rendu compte que l’influence du premier prince du sang pouvait, le cas échéant, être opposée à celle de la Reine-Mère. Le Roi avait fait rendre au prince son épée (16 avril 1619), en accompagnant cette décision gracieuse d’une lettre aimable. Vincennes devenait, pour le prince de Condé, une sorte de villégiature un peu rude. Il était très visité.

Luynes, cependant, ne se décidait pas. Le rappel des disgraciés ne lui réussissait guère. Une fois remis, ils oubliaient le bienfait et en revenaient à leurs penchans naturels. Or, un homme du tempérament du prince du Condé n’était pas fait pour rester longtemps inactif à la Cour. D’ailleurs, le simple fait de sa réapparition suffisait pour refouler au second plan les vaniteuses prétentions du favori. Le prince, cependant, jurait qu’il était devenu son plus féal ami et serviteur. Aucune promesse verbale ou écrite ne lui coûtait. Il aurait voulu que Luynes épousât sa sœur, qui, heureusement, pour le grand nom des Bourbons, mourut à temps. L’opinion, d’ailleurs, avec sa mobilité ordinaire, se retournait vers lui. Elle s’attendrissait sur sa longue détention, sur une grave maladie qu’on attribuait au séjour entre ces murailles sombres, sinon à un empoisonnement. On plaignait sa femme, dont les grossesses successives et malheureuses faisaient couler des larmes. Et puis, le va-et-vient des choses est tel, qu’en ce temps-là, en France, on s’éloignait sans raison de certaines personnes, et qu’on se rapprochait d’elles sans motif. Le prince de Condé profitait, pour le moment, d’une de ces sautes de vent.

Il lui vint bientôt un appui d’un côté où il ne l’attendait guère. Marie de Médicis, sentant que l’heure de la délivrance approchait, crut qu’il était de bonne guerre de ne pas laisser à Luynes tout le bénéfice de l’opération. Dans le manifeste qu’elle avait publié en quittant Blois, elle avait fait amende honorable à l’égard du prince ; elle avait rejeté l’odieux de l’arrestation sur le défunt maréchal d’Ancre. Puis, elle s’était plainte de la détention prolongée et avait demandé franchement la liberté du prince. On reconnaît là « l’ingénieuse subtilité » de notre évêque. Luynes était embarrassé. On lui forçait la main : il fallait prendre un parti. Mais le rusé voulut, du moins, s’assurer, par une feinte habile, le bénéfice incontestable de la décision ultime. La résolution prise, il attendit en se taisant.