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politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression[1]. — La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui[2]… — La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société[3]… » Elle le répète en 1795 et elle insiste : « La sûreté résulte du concours de tous à assurer les droits de chacun[4]. » Mais, dans le même moment, elle édicté : Toutes les espèces de corporations de citoyens du même état ou profession sont interdites. La contradiction ne l’arrête pas, comme si la liberté pouvait être complète, ou la propriété accessible au plus grand nombre, ou la sûreté garantie, ou la résistance à l’oppression possible, sans l’association ! Elle énumère les droits naturels de l’homme, et elle n’oublie pas, non, mais elle nie délibérément le plus naturel de ces droits, si, après tout, il n’y a de droits naturels qu’en corrélation avec des faits naturels et si aucun fait n’est plus naturel aux hommes que de se rapprocher et de s’associer. Elle fixe les limites de la loi, et, du même coup, dans le même texte, elle les transgresse. Néanmoins elle parle d’association politique, « dont le but est justement la conservation des droits imprescriptibles de l’homme, » mais elle entend par ce mot une seule et unique association : l’État, devant lequel il n’y a que poussière d’individus. Et dans l’intervalle, en 1793, plutôt que de consentir à ce que les citoyens puissent, en dehors de l’Etat et au besoin contre lui, s’associer paisiblement pour l’exercice et « la conservation de leurs droits », elle aime mieux accorder que, dans les cas extrêmes, l’insurrection peut être « le plus indispensable des devoirs[5]. »

En fait, de 1791 à 1795, ce sont principalement les associations professionnelles dont on a peur et que l’on traque : on écarte, on repousse en elles le spectre de la corporation. Envers les associations politiques, l’Etat ne se sent vraiment de soupçon et de jalousie que lorsqu’il les sent plus puissantes que lui, lorsqu’il se voit en péril de se disperser et de se dissoudre dans les clubs. — Jusqu’alors, la Révolution a été plus indulgente pour les associations politiques, par lesquelles, en grande partie, elle

  1. Déclaration de 1791, art. 2.
  2. Ibid., art. 4.
  3. Ibid., art. 5.
  4. Déclaration des droits de 1795, art. 4.
  5. Déclaration de 1793, art. 35.