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donner satisfaction. Et comme le capital, aussi, s’est concentré par le fait même de la concentration du travail, comme, dans la plupart des cas, le capital des entreprises industrielles est une association de capitaux, le seul contrepoids, la seule chance d’équilibre, la seule garantie de justice ne peut être, vis-à-vis de l’argent associé, que la main-d’œuvre associée. — Je hais et tâche de bannir toute déclamation, mais est-il excessif de dire que, vis-à-vis du banquier, du bailleur de fonds, du patron collectif et souvent lointain, qui occupe tant d’hommes qu’ils ne sont plus pour lui qu’une force humaine anonyme, des muscles ajoutés à la vapeur, vis-à-vis de lui la libre association a la même fonction à remplir que la corporation d’autrefois vis-à-vis du seigneur ? Sans doute, beaucoup de patrons, — et c’est même la majorité, — ont le sentiment le plus haut et le plus noble de leur devoir, sont demeurés vraiment des « patrons, » mais ce n’est pas une raison pour que l’association soit inutile ; et il suffirait, au contraire, qu’elle pût, en certaines occasions, — fussent-elles exceptionnelles, — être utile, pour que la liberté d’association fût nécessaire.

D’ailleurs, l’association libre n’a pas seulement à empêcher : elle a à faire ; ce n’est pas seulement un instrument de défense ou de résistance ; ce n’est pas seulement un agent de paix sociale par le respect assuré ou imposé du droit ; elle n’est pas seulement inerte et passive : c’est un agent de paix sociale par le progrès, un propulseur autant qu’un frein ; son œuvre en ce monde n’est pas seulement de s’opposer à toute diminution d’humanité parmi les hommes, mais de coopérer à ce qu’il y en ait davantage, et, même au point de vue matériel, elle n’est pas seulement un modérateur, mais un créateur et un répartiteur de richesse. Une démocratie ne peut donc, sans s’appauvrir et se compromettre, sans courir un perpétuel péril, sans s’exposer à des envahissemens et peu à peu à un accaparement partiel, sans se diminuer et s’amputer, sans subir un déchet certain et à la longue se dédémocratiser, — aucune démocratie moderne, et la démocratie française moins qu’aucune autre, — ne peut, dans sa vie économique, retrancher d’elle-même l’association.

Mais aucune non plus, — et moins qu’aucune autre la démocratie française, — ne peut la rejeter, l’exclure de sa vie politique. Quand l’association existera, vivra économiquement, nous nous en servirons pour régulariser, accroître, enrichir politiquement