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Elle crie donc qu’il faut traiter, sans retard. « La peur étoit si absolument maîtresse du cœur que la raison n’y avoit point de lieu. »

Au milieu de tout cela, Richelieu, seul, reste froid et n’a pas perdu la tête. Son plan, en somme, se réalise. Les militaires ont assez encombré les avenues : place aux prêtres maintenant, et aux négociateurs. On n’a pas cessé de traiter, d’ailleurs, sous le canon. Il est de ceux qui insistent pour que l’on passe la Loire et que l’on fasse, sans perdre pied, retraite sur Angoulême. En bon négociateur, il ne lui plaît pas de paraître à la merci de la partie adverse. Mais les commissaires du Roi insistent, tout autant que l’entourage de la Reine. Tout le monde a hâte de sortir de cette « drôlerie » qui tourne au tragique. Luynes ne songe qu’à une chose, c’est d’en finir au plus vite : Condé, général en chef et vainqueur des Ponts-de-Cé, le Roi, fier du rôle qu’on lui a laissé jouer, et glorieux d’avoir trouvé en lui-même une sorte d’aptitude ignorée, et quelque chose du caractère royal, tout cela l’inquiète. Richelieu saisit toutes ces nuances et en profite. Il jette, séance tenante, avec le duc de Bellegarde, l’archevêque de Sens et le président Jeannin, qui sont revenus près de la Reine et qui ont assisté au désordre de cette malheureuse journée, les bases d’un arrangement définitif.

Le lendemain, la Reine l’envoie vers le Roi, avec le cardinal de Sourdis, pour conclure. « Le Roi nous reçut fort bien ; grandes caresses de Monsieur de Luynes. Monsieur le Prince tout de même. » Mais l’accord ne se signe pas encore. Les envoyés de la Reine défendent le terrain, pied à pied. Ils discutent, comme si rien ne s’était passé. Richelieu, qui sait la hâte de Luynes, reprend tous ses avantages. Il traîne encore des jours, tandis que l’entourage de la Reine tremble de peur, le presse et l’accuse. Enfin, le 10, il conclut ; et l’arrangement est tel, qu’étant donné les circonstances, on peut dire qu’il gagne la partie sur toute la ligne : la Reine obtenait, pour elle et les siens, décharge de tout ce qui s’était passé. Le traité d’Angoulême était confirmé de tous points. Tous les partisans de la Reine étaient réintégrés dans leurs fonctions, charges, pensions, etc. ; aucune poursuite n’était exercée contre eux ; tous les prisonniers étaient délivrés. La Reine reprenait le château des Ponts-de-Cé, et les grands seigneurs de son parti les places qui avaient été rendues au Roi. Toutes les sommes que la Reine et ses partisans avaient prélevées indûment seraient payées par le Roi. La Reine recevrait trois cent mille livres comptant, et