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les élargir ; mais la majorité pensa « qu’il ne fallait pas sortir des trois cas prévus par le projet, que là seulement était la certitude, base essentielle, indispensable, de la révision[1]. » En séance publique, M. Martel développa son amendement. C’est alors qu’un très curieux débat s’engagea sur la question suivante : la Cour de cassation doit-elle avoir acquis, pour ordonner la révision, la certitude de l’erreur ? Sans nul doute, aux yeux de M. Pinard, commissaire du gouvernement. « Dans les trois cas prévus, disait-il, la Cour est nécessairement déterminée par une erreur, totale ou partielle, mais certaine. Dans le premier (fausse supposition d’homicide), l’erreur porte sur le crime lui-même ; dans le second, elle porte sur l’imputabilité du crime ; dans le troisième, elle porte sur la preuve, elle porte sur la charge. » Il observait alors que, dans la proposition de M. Martel, une simple présomption ferait échec à la chose jugée : on ne doit pas plus condamner sur une simple présomption un arrêt qu’un accusé. M. Emile Ollivier réfuta vivement et clairement cette proposition dans un très beau discours, en montrant que le projet même du gouvernement s’attachait, au moins dans un cas, non pas à la certitude, mais à la simple présomption d’une erreur. La révision ne devait-elle pas être admise dès qu’un des témoins entendus dans l’instruction aurait été reconnu coupable de faux témoignage ? Cinquante témoins ont déposé dans un procès criminel ; un seul témoignage est argué de faux, et cependant la révision peut être obtenue, quand même, autant et plus que le témoin condamné, dix autres auraient attesté la culpabilité de l’accusé. M. Ollivier tenait, à vrai dire, sur ce point spécial, le même langage que le Conseil d’Etat de 1808.

La Cour de cassation s’appropriera néanmoins l’argumentation de M. Pinard, lorsqu’elle déclarera non recevable la demande en révision formée par Virginie Lesurques : « Si la justice est appelée à statuer sur le sort d’un accusé, lit-on dans l’arrêt du 17 décembre 1868, l’innocence de celui-ci doit être présumée jusqu’à preuve contraire, et si le doute doit être interprété en sa faveur, ce principe reste sans application possible, lorsque l’accusé a été condamné par une décision passée en force de chose jugée, et que le procès se fait, non plus à l’accusé, mais à l’arrêt de condamnation. » Toutefois, le lecteur va se convaincre que la discussion législative de 1867 ne fut pas stérile.

  1. Rapport de la commission législative.