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l’accusé reconnu innocent. » Il réclamait en sa faveur des dédommagemens pécuniaires « immenses, » les demandait à l’Etat, indiquait même sur quelle branche des revenus publics ils devaient être prélevés. On se disputait d’ailleurs, à cette date, l’honneur de venger l’innocence. Marat avait même devancé Brissot, dans son banal et médiocre Plan de législation criminelle, imprimé pour la première fois à Neufchâtel en 1780, ne se doutant pas du terrible démenti qu’il allait bientôt se donner à lui-même et se faire donner par son ami Fouquier-Tinville[1]. Dupin reprit et développa cette thèse en 1821[2] Enfin, si les amendemens par lesquels on tenta d’introduire le principe des réparations dans la loi de 1867 furent repoussés au Corps législatif par 111 voix contre 74, M. Albert Desjardins, professeur de législation pénale à la Faculté de Paris, protesta, quelques années après, contre ce vote et souhaita de le voir rétracter dans une autre législature. Ce vœu fut exaucé par la loi de 1895.

Aujourd’hui, l’arrêt ou le jugement de révision d’où résulte l’innocence d’un condamné peut, sur sa demande, lui allouer des dommages-intérêts à raison du préjudice que lui aura causé la condamnation. Si la victime de l’erreur judiciaire est décédée, le droit de demander des dommages-intérêts appartient, dans les mêmes conditions, à son conjoint, à ses ascendans et descendans. Il n’appartient aux parens d’un degré plus éloigné qu’autant qu’ils justifieront d’un préjudice matériel, résultant pour eux de la condamnation. Les dommages-intérêts alloués sont à la charge de l’Etat, sauf son recours contre la partie civile, le dénonciateur ou le faux témoin par la faute desquels la condamnation aura été prononcée.

La Cour de cassation a fait elle-même, dès le 16 décembre 1897, une éclatante application de cette disposition nouvelle dans l’affaire de Pierre Vaux, ancien instituteur à Longepierre, que le jury de Saône-et-Loire avait déclaré complice de six incendies allumés dans cette commune, et que la cour d’assises avait condamné, à la suite de ce verdict, aux travaux forcés perpétuels. Le véritable incendiaire était un faux témoin, dont la déposition avait été regardée comme accablante. La chambre criminelle écarta la demande de dommages-intérêts formée par un frère de la victime,

  1. Wallon, Histoire du Tribunal révolutionnaire, t. IV, p. 125.
  2. Observations sur plusieurs points importans de notre législation criminelle, p. 289.