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lentement, pendant que les autres descendent et que les revenus des capitalistes s’abaissent.

Ajoutons que, en somme, la science est libératrice : elle travaille pour tous. Nous n’en sommes plus au temps où Proudhon assimilait les machines et tous les instrumens artificiels produits par la science à un « fléau chronique, permanent, indélébile, qui tantôt apparaît sous la forme de Gutenberg, tantôt se nomme Jacquard, Watt ou Jouffroy ! » L’effet des machines a été d’augmenter ce que les économistes appellent le « rendement de l’effort humain, » c’est-à-dire sa puissance productive et son utilité par l’utilisation simultanée des forces de la nature[1]. Or, malgré les inconvéniens de la première heure, il en est résulté deux effets heureux : 1° abaissement du prix de produit, devenu accessible à un plus grand nombre de consommateurs et aux travailleurs eux-mêmes ; 2° accroissement du taux des salaires. En effet, cet accroissement augmente d’autant moins le prix de revient du produit que l’effet utile de la main-d’œuvre et sa puissance productrice augmentent eux-mêmes davantage, grâce au concours croissant des forces naturelles. L’industrie a donc pu rémunérer mieux la main-d’œuvre, à mesure que celle-ci, alliée à la science et à la nature que conquiert la science, parvenait à produire davantage. En fait, les salaires sont allés en augmentant, et l’industrie, grâce aux machines, a pu supporter cette hausse des salaires ; avec l’outillage rudimentaire du passé, c’eût été pour elle la ruine[2].

Si le progrès de l’industrie s’est montré, en définitive, favorable au progrès des ouvriers, ce dernier, à son tour, se montre de plus en plus favorable au progrès de l’industrie. Plus l’ouvrier a de valeur personnelle, à la fois physique et morale, plus il peut réserver d’énergie pour employer cette énergie à son propre développement matériel et intellectuel ; plus il devient productif et moins il devient coûteux pour l’industrie même, qui, nous l’avons vu, peut augmenter son salaire sans voir baisser ses profits. A la conférence de Berlin, le délégué français, M. Victor Delahaye, a montré ce fait par des chiffres, et M. Schulze-Gaewernitz en a donné de nombreux exemples. La loi posée par cet éminent esprit

  1. Voyez le bel ouvrage de M. Ad. Prins, un des chefs de l’école demi-socialiste en Belgique : l’Organisation de la Liberté. Paris, Alcan, 1890, et le livre très important de M. Paul 1eroy-Beaulieu : Essai sur la Répartition des Richesses (1893).
  2. Voyez M. Cheysson, la Lutte des Classes (Revue de Sociologie, 1893).