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meute en pleine chasse. Il allait à dix milles, aux trous des phoques, et, en arrivant aux terrains de chasse, détachait d’un tour de main un des traits du pitu, et délivrait le grand chef de file noir, le plus intelligent de l’attelage à cette époque. Aussitôt que l’animal avait éventé un trou d’air, Kotuko retournait le traîneau, et enfonçait solidement dans la neige une paire d’andouillers sciés au pied, qui se dressaient comme des poignées de voiture d’enfant, afin d’empêcher l’attelage de détaler. Puis il se mettait à ramper devant lui, pouce par pouce, et attendait jusqu’à ce que le phoque montât pour respirer. Alors, il plantait rapidement sa lance de haut en bas, la ligne suivait, et, un instant après, il hissait son phoque au bord du trou, tandis que le chien noir venait l’aider à traîner le cadavre sur la glace jusqu’au traîneau. C’était le moment où les chiens restés sous le harnais écumaient et hurlaient dans le feu de l’excitation, et Kotuko leur appliquait la longue mèche comme une barre de fer rouge en travers des museaux, jusqu’à ce que le froid eût raidi le cadavre. Le plus dur, c’était de rentrer à la maison : il fallait aider le traîneau chargé à travers la glace raboteuse, et les chiens s’asseyaient pour jeter des regards affamés sur le phoque au lieu de tirer ; ils finissaient cependant par atteindre la route nettement frayée par les traîneaux, qui aboutissait au village, cahin-caha le long de la glace sonore, la tête basse et la queue relevée, tandis que Kotuko entonnait le Angutivun tai-na tau-na-ne taina (la Chanson de Retour du Chasseur), et que des voix le hélaient de maison en maison, sous le grand ciel terne et constellé.

Kotuko, le chien, une fois parvenu à sa pleine croissance, eut aussi ses momens de plaisir. Il fit patiemment son chemin parmi les rangs de l’attelage, bataille par bataille, jusqu’à ce que, un beau soir, à l’heure du souper, il s’en prît au gros chef noir (Kotuko, le garçon, assistait à cette belle partie) et le réduisît, comme ils disent, au rôle de second chien. De sorte que, promu à la longue courroie du chien de tête, il dut, désormais, courir à cinq pieds en avant de tous les autres, se reconnaître le devoir strict de mettre le holà à toute bataille, sous le harnais comme ailleurs, et porter un collier de fils de cuivre très épais et très lourd. En certaines occasions, on lui donnait de la nourriture cuite à l’intérieur de la maison, et parfois on lui permettait de coucher sur le banc avec Kotuko. C’était un bon chien de phoques, et capable de mettre aux abois un bœuf musqué rien qu’à courir alentour et à lui japper aux