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en aiguilles, sur laquelle il était impossible de faire courir les traîneaux. Le bord de la banquise d’où les phoques avaient coutume de pêcher en hiver se trouvait à peut-être vingt milles au delà de cette barrière et hors d’atteinte pour les Tununirmiut. Malgré cela, ils auraient pu s’arranger pour passer péniblement l’hiver avec leur provision de saumon gelé, leur conserve de graisse et le produit de la chasse au piège ; mais, en décembre, un de leurs chasseurs tomba sur un tupik, une tente de peaux, sous lequel il trouva, près d’une jeune fille presque morte, trois femmes dont les hommes étaient descendus avec elles de très loin dans le Nord et avaient été broyés dans leurs petits kayaks de chasse pendant une expédition à la recherche du narval à longue corne. Kadlu, naturellement, ne pouvait que répartir les femmes parmi les huttes du village d’hiver, car aucun Inuit n’oserait refuser un repas à un étranger. Il ne sait jamais si son tour ne viendra pas de mendier lui-même. Amoraq prit la jeune fille, qui avait environ quatorze ans, comme une sorte de servante en sa maison. A la coupe de son capuchon pointu et à la forme en as de carreau de ses guêtres blanches en peau de renne, ils supposèrent qu’elle venait de la Terre d’Ellesmere. Elle n’avait jamais vu auparavant de casseroles en étain ni de traîneaux à patins de bois ; mais Kotuko, le garçon, et Kotuko, le chien, paraissaient plutôt amoureux d’elle.

Puis, tous les renards s’en allèrent vers le Sud, et le glouton lui-même, ce petit voleur des neiges, vorace et à tête hardie, ne se donna même plus la peine de suivre la ligne de pièges vides que Kotuko tendait. La tribu perdit deux de ses meilleurs chasseurs, cruellement estropiés dans une lutte avec un bœuf musqué, et il en résulta un surcroît de travail pour les autres. Kotuko sortait, un jour après l’autre, avec un léger traîneau de chasse et six ou sept de ses chiens les plus vigoureux, fouillant l’espace du regard à s’en faire mal aux yeux, en quête d’une surface de glace unie où un phoque pouvait peut-être avoir creusé un trou d’évent. Kotuko, le chien, quêtait de tous côtés, et, dans le calme de mort des champs de glace, Kotuko, le garçon, pouvait entendre son jappement à demi étranglé d’impatience au bord d’un trou de phoque, à trois milles de là, aussi distinctement qu’à ses côtés. Lorsque le chien avait découvert un trou, le jeune garçon se construisait un petit mur bas de neige, afin d’arrêter le plus fort de l’âpre bise, et là, il attendait dix, douze, vingt heures, que le phoque