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Son Rapport sur la question de la Morale, publié dans le Monde maçonnique en avril 1864[1], produisit sur ses Frères une impression profonde. Il expliquait que, sur les ruines de l’idée théologique, l’idée de la morale indépendante devait surgir ; et c’est aux loges qu’il appartiendrait de l’élaborer. La morale, telle qu’il la concevait, reposait sur un fait et sur une idée : le fait, c’est que « l’homme n’est pas un être collectif-individuel qui s’ignore, comme l’abeille ou le castor, parties intégrantes d’un organisme qui est leur fin, mais un être qui se sait, un être conscient de lui-même ; » l’idée, c’est le « concept de l’absolue indépendance, autrement dit du franc-arbitre : l’homme est une personne, membre actif d’une association tacitement ou expressément consentie et dont il est la fin. » Massol déduisait, de ces prémisses, la doctrine lu « droit pur, » exclusive de toute hétéronomie morale. « La réciprocité de respect entre les personnes humaines et la paix ou le trouble qui l’accompagnent : » c’est là ce qui « constituait la conscience, » aux yeux de Massol. « Respect de soi, respect des autres, l’homme sacré à l’homme ; par suite, félicité personnelle et harmonie sociale : » ainsi définissait-il la loi morale et sa sanction.

Cette simplification de l’éthique déplut à beaucoup de maçons. M. Scarchefigue, « orateur » des Amis de l’Ordre, composa contre Massol une réponse qu’il concluait en ces termes : « Dieu existe : toute morale qui ne découle pas de ce grand principe est une morale sans moralité[2]; » et Charles Fauvety, fondateur de la Revue philosophique et religieuse, fit condamner la philosophie de Massol par la majorité du Conseil de l’Ordre et par le Grand Convent de 1865. Mais l’obstiné novateur ne se découragea point ; peu à peu, suivant les expressions de M. Amiable, « il donna, ou plutôt il rendit à la franc-maçonnerie son orientation véritable en faisant nettement ressortir son caractère dominant[3]; » il chercha des disciples, et il les trouva; il devint pour M. Henri Brisson, alors tout jeune, un « vieil ami personnel[4], » et finalement il obtint, à force d’efforts, que l’éviction de Dieu fût à l’ordre du jour des loges. Fallait-il, oui ou non, supprimer le paragraphe de la constitution maçonnique qui affirmait Dieu et l’immortalité

  1. Tirage à part à l’Orient de Paris, 1864.
  2. Réponse au rapport sur la morale du F. Massol par le F. Scarchefigue, p. 29, Paris, impr. Wittersheim, 1864.
  3. B. G. O. août-septembre 1894, p. 145, et. en général, p. 136-146.
  4. C. R. G. O. 16 janv. 28 févr. 1898, p. 75.