Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/935

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

très fort dans la différence des âges. Entre l’exaltation de Michelet et l’hostilité de ses enfans, il faut du sang-froid, de la diplomatie. Il faut de la volonté. M Ile Mialaret a beaucoup de volonté. Elle ne perd pas le temps en rêveries. Sérieuse, grave, elle met par dessus tout les intérêts du travail et trouve justement que, depuis quelque temps, M. Michelet travaille mal. Or, bien loin d’être un obstacle au travail de son mari, elle veut au contraire l’y aider, le lui rendre plus facile. Elle le ramène vers les études dont elle souffre de le voir trop distrait. Leur union sera cela même : une association en vue du travail. Le royaume d’une femme, c’est son ménage : elle règne sur l’intérieur, sur l’office et sur le jardinet. Mlle Mialaret s’informe des ressources qu’on aura : elles seront modestes, mais permettront d’avoir une maisonnette hors Paris. A travers les lettres mêmes de Michelet, on devine ce parfait bon sens, cette sagesse pratique de la jeune fille. Cette simplicité, cette sérénité sont sans doute les plus belles qualités dont on puisse faire honneur à une femme. Seulement ce sont de tout autres mérites que Michelet célèbre en sa future compagne. C’est qu’il aime dans celle qui lui est un jour apparue si pâle, la Femme telle qu’il la conçoit prête pour remplir une mission mystique. L’amour dont il lui fait hommage, c’est l’Amour tel qu’il doit être pour déborder d’un cœur d’homme sur le monde entier et régénérer l’humanité.

Pour Michelet, la femme est une religion. Le monde vit de la femme : elle y met sa grâce et c’est la grâce qui sauve. Le progrès qui se fera dans les sociétés sera le progrès lui-même de l’amour. Il effacera peu à peu les haines des races et les haines des classes, mettra fin à la guerre, appellera les hommes à la paix universelle et à l’universelle fraternité. Seulement, pour opérer ces miracles, il faut d’abord que l’amour ait pris naissance dans deux cœurs intimement unis. Le salut consistera à transporter dans le monde politique et social cette douceur infinie, ce besoin d’interprétation favorable qui se trouve si naturellement entre deux personnes qui s’aiment. C’est ce rêve humanitaire que Michelet se crut à la veille de réaliser dès qu’il rencontra Mlle Mialaret. « Que te rendrai-je, amie, pour l’initiation que je trouve en toi ? Je sens combien la femme est la porte du monde éternel ! Mais la femme où la trouve-t-on ?... Jusqu’à toi j’en ai rencontré avec telles qualités partielles, la beauté, la force ou l’esprit, jamais la femme toute entière. Elle m’est arrivée enfin ! » Il crut de bonne foi que cette force de sympathie qu’il sentait en lui allait gagner les autres, se répandre sur la terre sanglante, comme une grande mer d’amour et de consolation. C’est ce qu’il répète à chaque page de cette correspondance,