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portait les cheveux coupés courts, comme un garçon. C’était une autre « personne célèbre, » Miss Délia Dickson.


Miss Dickson avait, elle aussi, écrit un roman à thèse, et était, elle aussi, devenue quelque chose comme une prophétesse : mais, tandis que Mrs Norham proposait de réformer la société en civilisant les masses, qui, du reste, étaient, dès maintenant, le principal facteur de la civilisation, Miss Dickson était persuadée que cette révolution avait pour condition nécessaire un changement complet dans le caractère des représentans du sexe masculin, changement que la femme devait se charger de réaliser en « versant la pure lumière de ses regards au fond le plus ténébreux des vices de l’homme. »


Elle venait dire à M. Bousefield qu’elle comptait parler la première, à la réunion, et qu’elle « se confinerait à la question vitale, en adressant un simple appel aux épouses et aux mères, mais surtout aux jeunes filles, destinées à devenir un jour des femmes et des mères. » Suivit, entre Mrs Norham et elle, une discussion aigre-douce, qui aurait risqué de tourner en querelle si l’heure de la réunion ne l’avait arrêtée. On se mit donc en route pour Startfield Hall : Miss Dickson, qui avait gardé son fiacre, y prit avec elle Mrs Bousefield et l’élégant Poulton, qui craignait de salir ses souliers vernis. Mrs Norham, avec le reste de la société, préféra aller à pied. « Nous allons toujours à pied, à Bloomsbury ! » dit-elle sévèrement à Tristram Lacy.

Son premier soin, en montant sur l’estrade, fut de déplacer Miss Dickson qui, arrivée avant elle, s’était installée près du fauteuil du président. Et la réunion commença. Elle s’ouvrit par une allocution de M. Bousefield, qui fut trouvée excellente, à l’exception d’un passage moins heureux. Le digne président, par manière de comparaison, avait parlé de « l’apôtre Jean à Patmos. » C’était du cléricalisme : et un petit homme en veston, « le plus formidable critique qu’eût encore rencontré le théisme, » se mit à fredonner, assez haut pour pouvoir être entendu de toute la salle : « Jérusalem ! Jérusalem ! » sur un air de gigue. On goûta beaucoup cette plaisanterie.

Le discours de Mrs Norham, qui suivit, ne fut qu’un éloquent réquisitoire contre « l’égoïsme » en général, et l’égoïsme des classes aristocratiques en particulier. Mais le grand succès fut pour le discours de l’élégant Poulton sur la guerre et le militarisme. « La suppression du militarisme, déclara l’ancien élève de Cambridge, est la condition indispensable de la renaissance du peuple. Aussi ne nous fatiguerons-nous pas de lutter contre le militarisme, et contre les sentimens patriotiques, dont il est l’expression. Qu’est-ce en effet que le patriotisme ? C’est un crime de lèse-majesté contre l’homme ! »