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lui. Mais à ses deux envois suivants le vieux professeur bâlois ne répondit même plus, malgré les flatteuses paroles qui les accompagnaient. Et nous le regrettons d’autant plus que nous aurions été particulièrement curieux de connaître l’opinion de Burckhardt sur le Cas Wagner : car il avait toujours détesté la musique de Wagner, de toute la force de son enthousiasme pour Mozart et pour Haydn : mais il avait assisté, d’autre part, à la fièvre de wagnérisme de son jeune collègue, et savait quel affectueux accueil il avait longtemps reçu dans la maison de Wagner. Voici, en tout cas, comment Nietzsche s’excusait devant lui de son violent pamphlet contre l’ami de jadis :


Sils-Maria, Automne de 1888.
Très vénéré professeur,

Je prends la liberté de vous envoyer, ci-joint, un petit essai esthétique qui, bien que je l’aie écrit pour me distraire de tâches plus sérieuses, n’en doit pas moins être pris au sérieux. Vous ne vous laisserez pas un instant tromper à la légèreté et à l’ironie du ton. Et vous jugerez sans doute que j’ai le droit de parler enfin nettement de ce « cas Wagner : » le droit et même le devoir. Le mouvement wagnérien est en effet devenu un triomphe. Les trois quarts des musiciens sont entièrement gagnés; de Saint-Pétersbourg à Paris, de Bologne à Montevideo, les théâtres ne vivent plus que de cet art-là ; tout récemment encore, le jeune empereur d’Allemagne a donné à l’affaire la signification d’une chose nationale entre toutes, et s’en est lui-même constitué le chef : voilà assez de motifs pour que j’aie le droit d’entrer dans la lice. Je reconnais, d’ailleurs, que mon petit livre, en raison du caractère européen-international du problème, aurait dû être écrit en français plutôt qu’en allemand. Mais d’ailleurs, jusqu’à un certain point, il est écrit en français : ou en tout cas on aurait moins de peine à le traduire en français qu’en allemand.


Mais ni l’intérêt de cette lettre, ni le charme de quelques-unes des réponses de Burckhardt ne suffisent pour donner à cette correspondance des deux amis bâlois la valeur qu’on était en droit de lui supposer. Et j’imagine que les nietzschéens ont dû éprouver une déception égale, ou peut-être plus vive encore, en lisant les lettres écrites par Nietzsche à un autre de ses amis, le baron de Seydlitz, et publiées par celui-ci dans une des dernières livraisons de la Neue Deutsche Rundschau. Romancier et critique de talent, M. de Seydlitz est loin d’occuper, dans le monde littéraire allemand, une situation comparable à celle de Burckhardt : mais lui aussi était depuis longtemps connu comme l’un des plus intimes confidens de l’auteur de Zarathustra ; et certains passages des lettres qu’il avait reçues de lui, cités par la sœur de Nietzsche