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s’éveilla, les rues, les places étaient occupées par des forces imposantes ; les casquettes rouges, naguère si menaçantes, avaient disparu comme par enchantement, et Pavia constituait un gouvernement dont il voulut qu’un autre que lui-même fût le chef. Il avait fait demander à Castelar de reprendre le pouvoir. Mais Castelar n’avait qu’à refuser et à protester ; ce qu’il fit aussitôt, en adressant au pays une déclaration ainsi conçue : « Je proteste de toute mon énergie contre l’attentat brutal qui a frappé l’Assemblée constituante. Je suis séparé de la démagogie par ma conscience, du régime que les baïonnettes viennent d’établir par ma conscience et par mon honneur. » La République espagnole n’existait plus que de nom. La présidence du maréchal Serrano inaugurait une sorte d’intérim, qui dura juste l’année entière. Ce gouvernement provisoire et comme indéterminé avait l’air de garder la place d’un absent. Le pronunciamiento de Sagonte ouvrit les portes de l’Espagne à cet absent, lequel s’appelait Alphonse XII.


III

Quel a été le rôle de Castelar sous la Restauration ?

Sa situation, d’abord, fut des plus pénibles. Cette ancienne monarchie qu’il voyait reparaître rajeunie et forte, il sentait bien que, pour la malheureuse Espagne, elle était le salut ; mais elle était aussi la réaction ; elle était la résurrection d’un passé qu’il avait combattu à mort ; et c’est pourquoi, sous peine de n’être plus Castelar, il devait s’en montrer l’adversaire irréconciliable ! Don Emilio prit le parti de quitter l’Espagne, par une sorte d’exode volontaire, et, après avoir voyagé quelques mois, il vint, comme autrefois, se fixer à Paris, déclarant qu’il ne rentrerait dans son pays que si les suffrages de ses concitoyens l’y rappelaient pour défendre la cause des libertés publiques aux Cortès. Mais ces Cortès n’existaient pas ; il n’y avait pas, il ne pouvait y avoir de Constitution ; on ne savait trop sous quelles lois on vivait, ni même s’il y avait des lois. L’Espagne se trouvait soumise à un régime de fait, de dictature et d’arbitraire, fort semblable à celui que la France avait subi dans les mois qui suivirent le coup d’Etat du 2 décembre 1851. Enfin le gouvernement d’Alphonse XII se décida, au bout d’un an, à faire élire des Cortès. Ce que furent ces élections, on s’en rendra compte, si l’on songe que, chez nos