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il est fort bien entouré à Paris. Il a pour l’aimer, pour le protéger, pour le défendre, un ami à lui, un enfant du Rhône tout comme lui, et pour le conseiller, pour le guider dans cet affreux labyrinthe qu’on appelle le théâtre, un ami à moi, un bon et honnête garçon qui ne lui fera pas défaut. Après eux, lui, moi qui me tiens sur la défensive, j’arriverai le tambour battant et la mèche allumée et vous verrez que je sais prendre le parti d’un jeune homme et de son esprit et de son talent et de son cœur. Ce sont là autant de motifs pour que vous dormiez en repos.

Allons donc, Monsieur, du courage ! Le grand jour de la première bataille va bientôt venir ; mais il faut que vous preniez bien vite l’habitude du courage et du sang-froid. Si vous saviez que c’est toujours à recommencer, qu’une bataille gagnée est toujours suivie d’une autre bataille, et qu’une bataille perdue, tout est à recommencer ! Si vous saviez que c’est une lutte de toutes les journées, de toutes les heures, et que maintenant votre pauvre enfant est peut-être plus que mort et enterré ! C’est alors que vous auriez le frisson de la peur. Mais, silence ! ne dites pas tout cela à sa mère : la pauvre femme aurait trop peur.

Bonjour, Monsieur, vous et moi, nous combattons pour la même cause, pour le même triomphe, pour le même héros. A coup sûr, nous gagnerons la bataille. J’espère bien vous porter moi-même la bonne nouvelle et montrer en même temps à ma jeune femme qui est avenante, mes amis connus et inconnus de Condrieu et de Saint-Pierre-de-Bœuf.

Je suis bien tout à vous et de tout mon cœur,

J. JANIN.

14 mars 1843,


L’excellent Janin se demandait ingénument si ce qu’il écrivait là au père de Ponsard, pour le rassurer, « pouvait passer pour une promesse ou pour une menace ; » et en effet le vieil avoué était homme à trouver que de telles promesses ne laissaient pas d’être plutôt menaçantes. Mais, fort heureusement, il n’allait pas tarder à être rassuré par les faits eux-mêmes, et mieux qu’il n’aurait pu l’être par les prédictions les plus optimistes.


V

Lucrèce fut représentée sur la scène du second Théâtre-Français le 22 avril 1843 : Bocage tenait le rôle de Brutus, Maubant celui de Collatin, Mme Dorval celui de Lucrèce. La première représentation fut un véritable triomphe, et le succès grandit encore aux représentations suivantes. Tous les critiques, même les plus hostiles, furent forcés de reconnaître que le public accueillait la pièce avec enthousiasme. « Le plus grand succès, le plus légitime, le plus mérité a accueilli cette tragédie, » écrivait Jules