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nombre, mais non la domination (Herrschaft) qui ne pourrait être qu’éphémère. Ils doivent poursuivre toutes les réformes qui sont susceptibles d’élever la classe ouvrière, et de favoriser le développement de la démocratie : droit politique électoral, liberté d’association ouvrière, coopération, etc. Aujourd’hui, par le bulletin de vote et les démonstrations populaires, on obtient ce qui eût exigé, il y a cent ans, une révolution sanglante.

Au point de vue économique, les ouvriers doivent s’organiser dans leurs syndicats. Les syndicats représentent dans l’industrie l’élément démocratique : leur effort est de briser l’absolutisme du capital, de donner aux ouvriers une influence directe dans la conduite des entreprises industrielles. M. Bernstein appelle de ses vœux le temps où les grèves ne seront plus conduites d’une façon sauvage, spasmodique, et où des conseils mixtes de patrons et d’ouvriers auront la mission permanente de régler les salaires. Par les syndicats, les ouvriers obtiendront une part plus assurée des profits industriels ; par les coopératives, ils recevront un profit commercial.

La lutte de classes apparaît dès lors non comme un combat mortel, mais comme une lutte pour le droit, une conscience croissante de l’égalité des droits. La démocratie n’est pas le privilège renversé d’une classe sur une autre classe, c’est la liberté d’action de chacun et l’égalité légale de tous. La classe possédante a cessé désormais d’être un obstacle au progrès social. Qu’on se livre parmi elle à la propagande socialiste, afin d’accélérer ce progrès. M. Bernstein fait appel non à l’égoïsme d’une classe contre l’égoïsme de l’autre, mais à la solidarité de toutes les classes.

Quant au but final, l’auteur a causé un scandale chez ses amis d’Allemagne en disant « que le mouvement pour lui est tout, que le but n’est rien. » Le mouvement, c’est l’effort vers le mieux. Marx exprimait d’ailleurs une pensée plus ou moins analogue, lorsqu’il déclarait « que le moindre mouvement lui semblait infiniment préférable à une douzaine de programmes. «M. Bernstein cite ce mot de Cromwell : «Celui-là va le plus loin qui ne sait pas où il va. » C’est-à-dire que celui qui connaît la direction générale vers laquelle il gouverne, et qui conserve le regard libre pour les conditions et les exigences de chaque jour, va plus loin et plus sûrement que celui qui s’hypnotise dans la contemplation d’un but final spéculatif.