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Lazares ensevelis depuis des siècles, qu’ils se sont dressés de leurs tombeaux, et elle seule a travaillé avec désintéressement à leur liberté. Ils n’attendent pas l’aide armée qu’elle accorda souvent : son bras n’est plus libre, ils le savent. Mais la diplomatie a les secrets de mille secours qui, sans compromettre le médecin, améliorent l’état des malades : ces peuples souffrans nous sauraient grand gré de cette assistance. Ils n’y comptent guère non plus, parce qu’ils nous savent sous le joug de factions sans compétence ni durée ; mais, malgré notre infortune et nos fautes, nous gardons intact pour eux l’essentiel de notre prestige. Victimes préférées de la force, ils ne la vénèrent pas du respect idolâtre qu’elle inspire à d’autres ; leurs épreuves leur ont appris le culte et les revanches du droit. Ils ont besoin que retentisse dans le monde, en faveur des faibles, le verbe de la foi et de l’espérance. Or, pour notre honneur, nos gouvernemens ne sont ni la seule ni la plus fidèle expression de la France. Les véritables ministres et ambassadeurs de notre patrie dans le monde sont nos penseurs, nos jurisconsultes, nos historiens, nos publicistes, nos lettrés. Sous les formes les plus diverses, les uns et les autres peuvent apporter un témoignage respecté, concordant et sonore, à l’autonomie des races. Et voilà l’aide que les races balkaniques attendent surtout de nous ! Leurs espérances nationales troublent les calculs expectans des grandes puissances ; les grandes puissances ont les financiers ; et la finance gouverne la presse. De là une coalition de chancelleries, d’intérêts et de journaux pour ignorer des prétentions importunes, et les petits peuples éprouvent quels terribles instrumens de silence sont la tribune, la presse, et la télégraphie. Rien ne leur est plus dangereux, rien n’a davantage amoindri leurs énergies à des heures décisives, rien n’étouffe plus cruellement leurs chances d’avenir que ce mutisme obstiné sur leurs griefs, sur leurs droits, sur leur vie. Ils sentent que la France peut rompre ce maléfice. Elle a gardé le privilège de répandre les idées dans le monde ; elle y crée les courans d’opinion. Des rayons de lumière sur des faits si soigneusement tenus dans l’ombre, des témoignages impartiaux sur le sort, les progrès, la constance de ces peuples, tout pénétrés par l’étranger et résolus à être eux-mêmes, donneraient la certitude qu’ils comptent et sont aimés à ces faibles qui nous aiment. Nos journaux, partout attendus comme les échos de la pensée française, ne sont pas tous prêts à la dénaturer sur les