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REVUE LITTÉRAIRE

LES LITTÉRATURES DE DÉCADENCE

Y a-t-il en littérature et en art des périodes de décadence ? Quand on parle de décadences littéraires, veut-on dire quelque chose et sait-on ce qu’on veut dire ? Quelques critiques l’ont contesté, auxquels il faut joindre la plupart des écrivains décadens. Ils n’admettent pas qu’on distingue dans l’histoire d’une littérature des époques, jeunesse, maturité, vieillesse, reliées elles-mêmes par des périodes de transition pareilles aux « âges critiques » de la vie des êtres humains. Cette exacte symétrie les fait sourire et ils protestent contre cette duperie des mots qui nous fait prendre pour des divisions fondées en nature des artifices de classification, et pour des réalités des métaphores. D’après eux, une littérature n’est qu’une entité sans existence réelle ; seuls les écrivains existent, et le génie souffle où il veut et quand il veut. Un Polybe, un Plutarque, un Sénèque, un Tacite, un Marc-Aurèle sont-ils des écrivains de décadence ? Vivent donc les décadences, à qui nous devons quelques-uns des beaux livres dont l’humanité aime à se souvenir, tandis qu’elle a oublié tant d’ouvrages des « bonnes époques ! » Il n’y a pas de périodes de transition, ou, ce qui revient au même, tout n’est que transition, chaque moment de la durée n’existant que par rapport à celui qui le précède et à celui qui suit. Et enfin il est absurde de juger les livres d’une époque par comparaison avec ceux d’une autre époque, arbitrairement choisie, au lieu de les apprécier en eux-mêmes. Il est faux qu’une littérature s’élève jusqu’à un certain point précis pour ne faire ensuite que redescendre la pente. En fait, une littérature se transforme sans cesse, et toutes ses transformations, étant déterminées