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plus intérieur, ou plus idéal, que la musique souvent a chanté ? Que représentent, à des degrés inégaux, des opéras comme le Freischütz, Robert le Diable et Tannhaüser ? Au plus haut sommet de notre art, que signifie l’œuvre entier de Beethoven, les sonates et les symphonies, sinon cette lutte éternelle, plus âpre et plus tragique en nous-mêmes qu’elle ne le fut jamais entre le monstre et le dieu !

Pour les Grecs, le plus haut intérêt, la plus grande dignité de la musique était dans ce qu’ils ont nommé l’éthos. Ils entendaient par ce mot le caractère psychologique ou sentimental, en d’autres termes la moralité de l’art. Chaque rythme, chaque mode et même chaque famille d’instrumens possédait un éthos particulier, qui n’était que l’expression en quelque sorte privilégiée de tel ou tel ordre de pensées, de sentimens ou de passions. Or l’éthos des instrumens à cordes fut de tout temps réputé supérieur à celui des instrumens à vent. Les auloi demeurèrent toujours un peu des étrangers, ou des barbares ; mais la lyre, instrument national et sacré par excellence, était la fille de la Grèce et la servante des Dieux. De là jusque dans le timbre, dans cet élément secondaire de la musique antique, une distinction profonde et jamais effacée. De nombreux textes en témoignent. Westphal écrit de la musique citharodique : « Là se trouvent le calme et la paix, la force et la majesté[1]. » Au contraire, et suivant Aristote, les « instrumens à vent ne peuvent engendrer dans l’âme une disposition à la vertu ; ils ont plutôt un caractère passionné. Leur usage n’est justifié que dans les circonstances où il s’agit de procurer à l’auditeur une libre expansion des sentimens qui l’agitent, et non une amélioration intellectuelle ou morale[2]. »

Sans avoir changé tout cela, nous y avons du moins changé quelque chose. Il serait intéressant de rapporter à l’éthos instrumental des anciens la psychologie de l’orchestre moderne. On constaterait que la rigueur de l’antithèse antique s’est fort atténuée, et que le temps a multiplié les transactions, même les interversions, entre les deux termes ou les deux facteurs. En d’innombrables rencontres, les maîtres contemporains ont doué de passion les instrumens à cordes, et les instrumens à vent de noblesse, de grandeur et de sérénité. Wie Flüten so süiss, « douces comme les flûtes, » dit le pêcheur de Schiller, des voix entendues

  1. . Cité par M. Gevaert.
  2. Ibid.