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La réforme palestinienne eut beau s’accomplir dans l’intérêt de la parole et pour que celle-ci fût mieux entendue, le génie du maître de Préneste n’en demeure pas moins un génie polyphonique, créateur d’harmonie, de contrepoint, en un mot de musique pure. Au début du XVIIe siècle, quand les fondateurs de l’opéra monodique et récitatif de Florence rendirent à la poésie quelque chose de son ancienne souveraineté, la musique un moment retomba sous l’empire du verbe. Mais bientôt les grands maîtres, les plus grands, vinrent l’en affranchir. Alors véritablement son règne arriva. Tantôt elle se passa de la parole et créa seule, sous des formes innombrables : fugue, sonate, trio, quatuor, concerto, symphonie, le monde infini de la musique instrumentale. Tantôt elle s’unit à la parole, mais pour la couvrir ou la déborder magnifiquement. Ni dans l’oratorio, ni dans l’opéra du XVIIIe siècle, le rôle du a librettiste » n’est comparable à celui du poète antique. Dans la Passion selon Saint Mathieu et dans Don Juan, la musique l’emporte également, et, de l’un et de l’autre chef-d’œuvre, elle est le centre ou le sommet. A côté d’un artiste comme Gluck, héritier des anciens parce qu’à leur exemple, il fait en quelque sorte jaillir l’expression et la beauté du verbe seul, combien en citerait-on, qui semblent, au contraire, les lui apporter de l’extérieur, de ces dehors infinis et de ces dessous profonds où le pouvoir de la musique s’étend chaque jour davantage ! Jusque dans ses œuvres les plus faibles, les plus pauvrement mélodiques, lorsque le génie déchu de l’Italie a parfois outragé le sens et la vérité de la parole, n’est-ce pas encore à la musique, superficielle et frivole sans doute, mais à la musique pourtant, qu’il les a sacrifiés ?

Notre siècle surtout aura vu la parole s’effacer et comme se dissoudre dans la musique. Cette inversion définitive de l’ordre antique est l’œuvre de l’Allemagne symphonique et de ses plus glorieux enfans. Ils ont aimé la musique pour elle-même ; pour la rendre capable de se suffire et d’exprimer seule tout ce qu’il est dans sa nature d’exprimer, ils l’ont fortifiée, enrichie de toutes les puissances et de tous les trésors de leur âme. Et je sais bien que le dernier d’entre eux, l’ayant amenée à la plénitude de son pouvoir, à la possession totale et parfaite de son être, lui a dit : « Nous ne t’avons faite si belle, que pour te soumettre encore. Tu ne seras jamais, tu ne dois jamais être que l’épouse, et le Verbe, ton seigneur éternel, éternellement dominera sur toi. » Mais, en parlant ainsi, Wagner s’est trompé. Comme l’Oreste de Gluck, il