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au colonel que je suis obligé de prendre congé de lui, et, malgré son insistance désespérée, je remonte à cheval et je donne l’ordre à mes hommes d’en faire autant. Le colonel est embarrassé, la sentinelle hésite, les soldats observent. Mais mes hommes, eux, n’hésitent pas : ils ne sont pas botanistes, et la contemplation d’un Citrullus, voire même d’une Glycyrrhiza, ne leur a été de nul secours pour chasser les ennuis de trois heures d’attente. Le mouvement de rassemblement des animaux et de marche vers le pont est exécuté vite et résolument, et nous effectuons notre sortie du fort avec armes et bagages, avant qu’on ait pu nous fermer la porte.

Nous cheminons alors dans un pays plat et découvert, qui ne ressemble plus aux montagnes que nous avons parcourues jusque-là. Celles-ci disparaissent peu à peu, à l’horizon voilé de brume et de poussière. Nous traversons, vers quatre heures, une assez grosse rivière, qui roule, à travers une plaine déserte, son eau jaunâtre et limoneuse, bordée de grands roseaux. Puis, assez longtemps après le coucher du soleil, nous atteignons le kichlak ou oasis de Soulouk, où la population, composée entièrement de Sartes, nous fait bon accueil. Nous sommes conduits à la maison des étrangers, où nous trouvons un abri spacieux et commode, et nous remettons au lendemain notre entrée à Kachgar. L’étape a été de 45 kilomètres.

9 novembre 1890. — Dès le matin nous nous mettons en marche à travers une plaine, coupée de loin en loin de quelques fourrés de saules, qui ne présente rien de particulier à la vue et que couvrait d’ailleurs, ce jour-là un brouillard glacial et opaque. Cette plaine, qui s’étend jusqu’au Thibet, c’est le fond de l’ancienne mer dont le Lob-Nor actuel n’est que le dernier résidu. Un peu avant midi, nous arrivions à Kachgar : une heure auparavant, l’escorte de cavaliers envoyée au-devant de nous par le tao-taï nous avait rejoints. Le bruit de notre arrivée s’était déjà répandu dans la ville, et nous y faisions une entrée véritablement solennelle.

Depuis Och, sans compter les menus détours du chemin, nous avons fait 462 kilomètres, ce qui, en montagne, avec de mauvais chevaux et avec des étapes parfois abrégées par la longueur des nuits, représente une moyenne très satisfaisante. Nous n’avons pris qu’une seule journée de repos, celle que nous avons passée à Irkechtam. Aucun cheval n’est resté en route.