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dont il faut respirer le parfum sur plante. Coupez-les : vous avez encore la forme, vous n’avez plus le parfum.


III

Mais les ruines ? dira-t-on, ne convient-il pas de les mettre à l’abri ? Bien plus encore que les monumens intacts, les ruines doivent être laissées in situ. C’est surtout à ces œuvres en partie détruites, incomplètes, qu’il faut un milieu qui les explique, qui les supplée ou qui les justifie. Car un monument complet s’explique de lui-même. Un temple, par exemple, est un organisme où tout s’enchaîne, se commande et se soutient. Tant qu’il est intact, tant qu’il remplit son but, tant que les colonnes font leur office, qui est de supporter les architraves, et les antéfixes, le leur, qui est de boucher le creux des tuiles, on peut le mettre où l’on voudra. A lui seul, il exprimera son rythme et son idée. Mais, s’il est ruiné, transporté par morceaux sous un hall, que nous dira-t-il ? Qu’est-ce que des colonnes sans la frise qui unissait leur tête ? Qu’est-ce que des acrotères sans le fronton dont elles relevaient les bouts ? Qu’est-ce qu’un arc-boutant sans la voûte qu’il bute, ou un pinacle sans le pilier qu’il surmonte ? Qu’est-ce qu’une cariatide sans son architrave, une canéphore sans sa corbeille, une Victoire sans ses ailes, une Espérance sans sa fleur ? Une colonne dans un musée, c’est un tronc d’arbre dans un salon ! Ce n’est plus qu’un organisme dissocié, brisé ; ce n’est plus qu’un cadavre. Il faut donc le laisser en plein air, en plein ciel, dans la nature qui, de ses cadavres à elle, de ses rocs fendus par l’eau ou de ses arbres foudroyés par le feu, fait des autels, des vasques, des corbeilles ou des nids.

La statue une fois mise dehors, tout change. Les gestes grandissent et soutiennent le ciel. La mousse emplit les mains auparavant oisives. Le lichen met sur les blessures du marbre son baume doré. Les graines des fleurs, qui vont par l’air cherchant un gîte, s’arrêtent au creux des urnes penchées par la main des Fleuves ou des cornes d’abondance soutenues par le bras des Pomones, et, parfois, l’eau de pluie vient étaler sous les pieds des Narcisses son humide et fugitif miroir. — Je sais, sur les terrasses de la villa Pamphili, une statue de femme qui lève le bras. Sa main étant cassée, elle ne dresse qu’un moignon qui serait horrible à voir. Mais un arbre est auprès. Il abaisse sur le marbre