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peut-être bien des types possibles de grandes cités dans ce monde. Ne croyons pas une ville déshonorée parce que la marche y est lente. Il restera toujours assez de villes où la marche sera rapide. Il est bon d’ailleurs quelquefois de ralentir le pas dans la vie. Et le fameux mot : « Je prendrai par le plus long… » du Fabuliste, voulait dire sans doute : « Je prendrai par le plus beau… »

Jamais nous n’eûmes plus besoin de ces asiles. « Aujourd’hui, toute la vitalité est concentrée dans les palpitantes artères des villes ; la campagne est traversée comme une mer verte par des ponts étroits et nous sommes jetés en foule toujours plus épaisse contre les portes de la ville. La seule influence qui puisse sagement prendre la place des bois et des champs est le pouvoir de l’ancienne architecture. Ne vous en dessaisissez pas pour l’amour du square régulier, de la promenade garnie de haies et d’arbres, ni pour la rue correcte ou le quai ouvert. La gloire d’une cité n’est pas en ces choses ! Laissez-les à la foule, mais souvenez-vous qu’il y aura sûrement quelqu’un dans le circuit des murailles troublées, quelqu’un qui aspire à se promener dans d’autres endroits que ceux-ci, à rencontrer d’autres formes en leur aspect familier, — comme celui qui s’assit si souvent à cette place que frappait le soleil couchant pour contempler les lignes du dôme de Florence, ou comme ceux de ses hôtes qui pouvaient soutenir des chambres de leur palais la contemplation journalière de cette place où leurs pères étaient couchés dans la mort, au carrefour des rues sombres de Vérone… »

Ainsi parlait Ruskin, il y a cinquante ans. Le péril alors dénoncé est plus grand qu’alors, parce qu’il se cache sous le sophisme de la conservation de l’art dans les musées. Ne laissons pas ce sophisme davantage se répandre. Quand on aime l’art, ce qu’il faut, ce n’est pas le recueillir dans les musées : c’est ne pas le chasser de la vie.


ROBERT DE LA SIZERANNE.