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M. Balfour ? Il se demande s’il est vrai qu’en l’absence de toute raison théorique et formelle, nous nous soyons contentés d’accepter notre seule inspiration pour guide. Avons-nous gratuitement réalisé nos désirs et érigé nos caprices en règle du monde ? « Une certaine harmonie entre notre sens intime et l’univers dont nous faisons partie est, remarque-t-il, un postulat tacite à la base de toutes nos croyances au sujet des phénomènes ; et ce que je réclame ici, c’est uniquement qu’une harmonie analogue soit provisoirement admise entre cet univers et d’autres élémens de notre nature, d’une origine plus récente, moins certaine, mais assurément tout aussi noble. » Or, que demandait de son côté, quelque vingt ans auparavant, M. Ollé-Laprune ? « Une harmonie de même ordre entre les lois de l’univers et les exigences incompressibles de la conscience : harmonie nécessaire, pour qui se place dans le point de vue de la moralité comme étant le plus favorable à saisir l’ensemble des choses, car c’est admettre qu’entre l’ensemble des choses et la moralité, il y a un lien, une relation naturelle et essentielle[1]. » N’est-ce donc pas là cet accord réclamé par la philosophie de M. Balfour, quand ce dernier veut enlever la connaissance morale au caractère « accidentel, flottant et purement subjectif » que l’on pouvait craindre pour elle, et quand, en de fortes expressions que l’on croirait empruntées au philosophe français lui-même, il attend cet accord, non d’une harmonie entre les imaginations passagères de l’individu et les vérités immuables d’un monde invisible, mais entre ces vérités et les particularités de notre nature, qui sont, en nous, sinon le plus fort et le plus universel, du moins le plus élevé, le plus excellent et le plus parfait.

Cette harmonie naturelle de la vérité et de l’humanité, quand celle-ci arrive à son point de perfection, nous permet de bien entendre la préparation et le développement de la certitude dans l’esprit de l’homme. Aussi bien ne peut-on comprendre ce qu’il y a d’essentiel et de vital en elle qu’autant que l’on remonte des produits extérieurs où elle se fige et se glace à la source toujours jaillissante où elle puise ses aspirations : il faut la saisir sur le vif, à l’heure fugitive de sa formation et comme à l’état naissant ; plus tard, elle se revêtira de formes empruntées et elle languira dans les conventions et dans les formules, loin du courant de la

  1. De la Certitude morale, p. 230.