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les revêtir[1]. Il estime que si leur signification pouvait être épuisée par une génération, elles seraient fausses pour les suivantes ; et c’est, « parce qu’elles peuvent contenir des matériaux de plus en plus riches à mesure que notre connaissance s’élève à une harmonie de plus en plus parfaite avec l’infinie réalité, c’est pour cela qu’elles méritent d’être comptées au nombre de nos richesses inaliénables et les plus précieuses de toutes[2]. » Mais, s’il faut tout dire, dans ce retour à un progrès des formules et à une évolution interne du « corps plastique de la croyance, » le philosophe français pousse plus loin la hardiesse. « Il faut sans cesse renouveler ses pensées. Il ne faut pas dire : J’ai bien vu cela, je tâcherai de me souvenir de cette vision. Vous ne garderez qu’une image morte et, dans l’occasion, vous n’aurez ni lumière en l’esprit, ni chaleur au cœur. Cette formule qui, tel jour, à telle heure, était si pleine, si féconde, vous avez cru qu’il vous suffirait de la retenir. Si vous ne revenez pas sur les choses qui vous l’avaient suggérée, si votre pensée n’est point remise en mouvement, cette formule sera vide et inerte et elle ne vous servira de rien. Ce sera lettre toute pure ; l’esprit et la vérité se seront retirés. Et ainsi en toutes choses. Il ne faut pas dire : Quelles clartés ! Oh ! il fait bon être ici, établissons-y notre demeure ! Il faudra redescendre de ces hautes cimes, perdre ces lumières dont on était ébloui et puis les reconquérir par de nouveaux efforts. Ni la sagesse, ni la science ne sont jamais achevées ici-bas : on ne peut jamais se fixer nulle part, s’établir définitivement, se reposer, jouir[3]. »

Maintenant, cette vie à laquelle la vérité nous ramène, dont elle retient la qualité morale, et qui va devenir inspiratrice de croyances et destructrice d’erreurs, quelle est donc la secrète vertu qui lui confère ces prérogatives ? C’est ce que l’on comprendra si l’on prend la peine de la saisir dans le secret même de son origine, et si l’on développe une à une les richesses qu’elle contient. Dans ce travail d’explication où il excelle, et auquel justement est consacré son plus brillant ouvrage[4], M. Ollé-Laprune paraît surtout préoccupé de retrouver, au nombre des élémens qui forment la composition de la vie, des matériaux de provenance bien différente,

  1. Voir à cette occasion le très curieux et très suggestif chapitre de l’Essai sur les Bases de la Croyance, ayant pour titre : Croyances et formules.
  2. Ibid.
  3. De la Certitude morale, p. 387.
  4. Essai sur la Morale d’Aristote.