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selon un idéal praticable. Elle estime que la vie vaut par elle-même et qu’elle se suffit pleinement. C’est cette manière de philosopher que nous retrouvons chez M. Ollé-Laprune : sa pensée essentiellement active, allant droit au but, ne procède guère par argumens subtils ni par déductions compliquées. Elle se complaît dans le mouvement paisible d’une réalité qui lui offre de tous côtés, dans l’ordre organique, dans l’ordre moral et dans l’ordre historique, le réconfortant spectacle d’une vérité agissante, sans cesse aidée, réparée, soutenue par sa propre action. Que seraient les mensongères clartés de la dialectique devant l’assurance et la fécondité de l’existence concrète ? La saisir dans la liberté de son allure, la retrouver en sa source, dans les points fixes qui la soutiennent, la suivre enfin dans son évolution silencieuse, n’est-ce pas une entreprise grandement philosophique ? Désormais ce ne sont plus les problèmes qui nous attirent, les antinomies qui nous sollicitent : ce sont là de vaines contentions et des questions de néant, comme un mirage importun soulevé par une réflexion incomplète et qui se dissipera dès qu’on nous aura rendu la sensation positive, le contact de la réalité solide. Vainement donc songerait-on à utiliser les procédés de l’intellectualisme. L’intellectualiste analyse, délibère, hésite ; sa réflexion ne cesse de se reprendre pour se corriger ; elle ne se livre pas ; elle demeure en suspens jusqu’à ce qu’elle se termine dans un doute persistant ou dans une foi éperdue, revanche de cette réalité méconnue qui assaille à coups répétés et qui décourage une pensée incapable, aussi bien, d’en deviner le mystère. Le réaliste procède autrement : il considère que la vie a ses lois, sa méthode assurée, ses exigences ; il lui demande donc ses certitudes immortelles, et quelque chose de la paix et du recueillement infini dont elle s’entoure pour ses inventions pénètre en retour dans ses recherches. C’est ce tempérament philosophique qui se marque en l’auteur de la Certitude morale ; sa spéculation, éprise de la vie, en a le calme et la gravité. Il ne faut donc pas s’étonner si, désabusé des fictions de la dialectique et guéri par le sentiment vif du réel de ce goût pour les explications abstraites, il cherche surtout à retrouver l’harmonie et à la faire naître. Il ne faut pas s’étonner davantage si, dans l’ordre des réalités spirituelles où il s’est de parti pris renfermé, il a quelque peine, non certes à suivre la plus savante escrime d’esprit, mais à en accepter les résultats comme valables.