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soin fut de s’assurer de la personne de M. Canovas del Castillo, qui passait pour le chef du mouvement alphonsiste, et de le faire écrouer à la prison du Saladero. M. Canovas n’était cependant pour rien dans le coup de tête du général Martinez Campos. Il affirmait même plus tard en avoir été vivement contrarié, car l’opinion monarchique faisait de si rapides progrès qu’il était convaincu que la Restauration était à la veille de se faire par les voies légales et sans être entachée du vice originel du pronunciamiento. La situation s’aggravant d’heure en heure, on craignit que la prison ne fût forcée par un mouvement populaire ou une sédition militaire. Le prisonnier fut transféré en lieu plus sûr, à l’étage supérieur du ministère de Gobernacion. Bientôt après, le ministre ne le trouvant pas encore assez sous sa main, le fit enfermer dans une pièce voisine de son cabinet. Il y était depuis quelques heures à peine, lorsque la porte s’ouvrit, et le ministre en personne vint lui annoncer que le roi Don Alphonse venait d’être proclamé par le peuple et par l’armée, et l’invita respectueusement à le remplacer dans le cabinet ministériel. Dans la nuit, le général Primo de Rivera avait fait occuper militairement la capitale, et, au matin, il avait proclamé le roi. Au dernier moment, la duchesse de la Torre, sentant sa situation perdue, avait envoyé un émissaire à M. de Chaudordy pour lui proposer de faire proclamer roi le duc de Montpensier. L’ambassadeur répondit par le mot qu’ont si souvent entendu les pouvoirs condamnés : il est trop tard.

Les nouvelles de Sagonte avaient ébranlé l’armée du Nord ; celles de Madrid achevèrent sa défection. Le maréchal Serrano dormait encore, lorsque le général Fajardo, forçant sa porte, le réveilla pour lui annoncer que l’armée allait proclamer le roi. « À votre place, j’en ferais autant, » répondit philosophiquement le maréchal. Et, jetant à la hâte quelques vêtemens dans une valise, il quitta l’armée et partit pour la France. Comme il traversait la gare de Saragosse, seul et son mince bagage à la main, M. de Coutouly, alors correspondant du Temps et depuis ministre de France, vint le saluer. « Tiens, Coutouly, fit le maréchal, vous venez donc en France, vous aussi ? — Non, monsieur le maréchal, je ne suis ici crue pour vous présenter mes hommages. » Serrano leva les épaules en souriant : « On voit bien que vous n’êtes pas Espagnol ! » fit-il.

Si je me suis quelque peu étendu sur la restauration