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cesse avec les soldats du gouvernement. Le jour, la plaine était occupée par ces derniers ; mais, à l’approche de la nuit, ils se retiraient dans l’enceinte des villes ou dans des tours de maçonnerie élevées de distance en distance. Ces tours, hautes de sept à huit mètres, n’avaient ni portes ni fenêtres. On y montait par des échelles que l’on retirait ensuite à l’intérieur. Des meurtrières permettaient de fusiller l’ennemi à couvert, s’il se rapprochait trop.

La nuit venue, les carlistes descendaient de la montagne et battaient la plaine. C’est ainsi que, chaque nuit, ils pénétraient dans le casino de Fontarabie, adossé aux remparts de la pittoresque petite ville, mais hors de son enceinte. Le Casino, où fleurissaient la roulette et le trente et quarante, était la création de M. Dupressoir, l’ancien fermier des jeux de Bade. On contait qu’il lui en avait coûté bon pour lever les scrupules du gouverneur civil, qui répugnait à autoriser un tel établissement. Mais, à peine la conscience de ce fonctionnaire était-elle rassurée, qu’il fut transféré à un autre poste. Son successeur dut être converti par les mêmes argumens et ne fit pas plus long séjour à Saint-Sébastien. Enfin les gouverneurs on vinrent à se succéder si rapidement, que Dupressoir se lassa de leur faire comprendre l’influence moralisatrice des maisons de jeu et qu’il ferma son établissement. Cosas de España !

Chaque soir, donc, les carlistes descendaient de la montagne de Guadalupe et s’introduisaient dans le Casino. L’administration de l’établissement avait eu la prudence de faire transporter avant leur arrivée la recette de la journée sur la rive française de la Bidassoa. Mais, pour ne pas irriter ses hôtes nocturnes, elle prenait la précaution de leur faire préparer un plantureux repas, auquel ils faisaient régulièrement honneur, tandis que les alphonsistes reposaient paisiblement de l’autre côté du mur. Au point du jour, les carlistes bien repus regagnaient leur montagne, les alphonsistes sortaient de la place, la caisse du Casino revenait d’Hendaye, et les salons de jeu se rouvraient. Et il en était ainsi tous les jours que le bon Dieu faisait.

Les deux principales routes qui vont de Bayonne en Espagne franchissent la frontière, la première au pont de Béhobie, la seconde à Dancharia. Je ne m’attarderai pas à décrire ici l’estuaire de la Bidassoa. C’est un des plus beaux paysages qui se puissent voir. La célèbre rivière s’élargit en nappe superbe avant de se