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sorte de colosse à face bestiale, avait été amené devant moi. « C’est bien vous, lui demandai-je, qui avez assassiné une femme à Pampelune, la semaine dernière ? — Para servir usted, Señor, » me répondit-il en souriant. La prison de Bayonne était remplie de ces hôtes dangereux. Les gardiens faisaient leur service armés d’un poignard et d’un revolver. Ces outlaws n’y séjournaient d’ailleurs que tout juste le temps d’obtenir leur expulsion. Dès qu’elle était prononcée, je les faisais conduire à la frontière la plus proche, qui était le pont de Béhobie, et si, d’aventure, la guardia civil les cueillait au milieu du pont, je ne m’en affligeais pas autrement.

Je n’avais pas été sans éprouver quelque inquiétude sur l’accueil que les carlistes recevraient de leurs compatriotes réfugiés à Bayonne. Ceux-ci, libéraux des provinces du nord pour la plupart, ne devaient pas porter dans leur cœur les gens qui les avaient pillés, rançonnés, et en définitive chassés de leur pays. Il m’eût déplu cependant que des vaincus qui venaient demander asile à la France fussent insultés sur son territoire. Je m’étais bien promis qu’on ne verrait pas se renouveler le scandale qui s’était produit en 1868 à la gare de Biarritz, lorsque la reine Isabelle, venant chercher un refuge en France, avait été, sous les yeux de l’Empereur et de l’Impératrice, odieusement outragée par les réfugiés politiques rentrant en Espagne. Des ordres sévères prévinrent heureusement tout incident de ce genre. Au surplus, quelques jours s’étaient à peine écoulés que carlistes et libéraux fraternisaient avec un laisser aller stupéfiant. Les divisions politiques n’ont pas en Espagne la même influence que chez nous sur les relations sociales. C’est fort heureux, car, après tant de révolutions, il n’y a pas deux Espagnols qui se salueraient, si les rancunes des partis devaient s’éterniser.


COMTE REMACLE.