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On pourra sans doute en ajourner plusieurs, et les mettre à la suite. Mais il y en a au moins une, qui comprendrait, si on voulait, la plupart des autres, dont l’urgence est incontestable : elle doit porter sur la politique générale du ministère. Si le ministère n’en sentait pas le besoin, il serait seul dans ce cas.

Lorsqu’il s’est formé, on ne s’est pas montré pour lui très difficile. Une question, alors, dominait toutes les autres et semblait même les remplacer ; l’affaire Dreyfus n’était pas terminée ; le procès définitif allait s’ouvrir devant le conseil de guerre de Rennes. Si le ministère n’a pas exprimé d’opinion collective sur le fond de l’affaire, celle de chacun de ses membres était connue ; mais on ne s’en préoccupait pas beaucoup. On était convaincu, et les faits l’ont prouvé, qu’il ne chercherait pas à influencer le conseil de guerre, et que, s’il cherchait à le faire, il n’y réussirait pas. La force des choses, telle qu’elle devait ressortir de l’arrêt final, était si impérative qu’il était impossible de ne pas s’y soumettre. M. Waldeck-Rousseau était donc libre de composer son cabinet comme il le voulait, avec la certitude que la Chambre lui ferait crédit sans y regarder de trop près, qu’il atteindrait ainsi les vacances et qu’il avait, par conséquent, quatre ou cinq mois d’existence assurée. Il lui a plu de faire le ministère qu’on sait. La surprise a été extrême, mais on a passé outre. Les ministres disaient d’ailleurs à qui voulait les entendre qu’ils étaient les premiers à reconnaître, pour eux, l’impossibilité de vivre longtemps. Il s’agissait seulement de traverser un moment difficile, périlleux même, à les entendre, et, pour cela, il avait paru nécessaire de faire appel au parti républicain tout entier, depuis MM. Decrais et Caillaux d’un côté, jusqu’à MM. Baudin et Millerand de l’autre. C’était la coalition la plus paradoxale qu’on eût encore vue : aussi devait-elle être provisoire, aider la République à traverser un défilé inquiétant, et se dissoudre aussitôt après. L’idée de gouverner, c’est-à-dire d’arrêter un programme déterminé et de l’appliquer, avec les élémens dont le cabinet était composé, ne venait à personne. Les ministres la répudiaient dans les confidences qu’ils faisaient à leurs amis, et qui, par eux, étaient répandues partout. Là-dessus, la Chambre est partie pour ses vacances, et le gouvernement est resté en fonctions.

Mais bientôt nos ministres ont pris goût au pouvoir, et ce goût s’est montré particulièrement vif chez ceux qui, y étant arrivés de la manière la plus inespérée, avaient le moins de chance d’y revenir de sitôt, une fois qu’ils l’auraient quitté. Au bout de quelques semaines, on s’apercevait que, bien loin de se préparer à une retraite dé-