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parti pris et sans dogmatisme, les conditions actuelles de la vie et du développement économique de l’Indo-Chine et d’appliquer la politique qui paraîtra le mieux adaptée à la réalité complexe des choses.

Une colonie comme le Tonkin a, pour ainsi dire, une double vie. Elle est en relation avec la mère patrie qui Ta conquise, qui l’administre, et qui, en échange de ses sacrifices et de ses dépenses, a le droit de se réserver certaines prérogatives. Les possessions lointaines d’une nation comme la France, qui ne vit pas exclusivement d’exportation, sont destinées avant tout à constituer avec la métropole un tout économique capable, autant que possible, de se suffire à lui-même. Il apparaît donc, à ce point de vue, tout d’abord indiqué de développer dans notre Indo-Chine la production des denrées que la France consomme et qu’elle est obligée de demander à l’étranger ; il serait souhaitable, par exemple, que notre domaine d’Extrême-Orient pût nous fournir tous les articles que nous achetons dans les ports du Céleste Empire ou des pays voisins : thé, riz, poivre, jute, cannelle, huiles et vernis végétaux et surtout soies. Encourager avec discernement les cultures appropriées à la nature du climat et du sol et, en même temps, aux besoins de la métropole, faciliter l’exportation des produits coloniaux en France par des tarifs de douane bien calculés, c’est sans doute le meilleur moyen d’augmenter les échanges entre notre colonie et la mère patrie et de faire de l’une le complément économique de l’autre.

Mais l’Indo-Chine n’est pas seulement une colonie située aux extrémités les plus lointaines du continent dont la France occupe la pointe occidentale ; elle a aussi sa place dans le monde de l’Extrême-Orient. L’Europe n’est plus le centre unique de l’activité civilisée, de l’industrie et du commerce ; il se produit par toute la terre, grâce à la diffusion universelle de nos instrumens et de nos procédés, comme une décentralisation de la vie. Il y a une vie et une circulation extrême-orientales dont l’intensité va chaque jour croissant : l’Indo-Chine est appelée à prendre sa part du mouvement général d’échanges qui grandit sur les rivages de cette Méditerranée que Formose, comme une Sicile, sépare en deux bassins. Autour de ces mers, comme autour d’une place de marché, les grandes nations commerciales ont dressé leurs comptoirs : les Allemands sont établis aux Mariannes et aux Carelines, les Américains aux Philippines, les Anglais à Bornéo