Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tables en plein air et sous des tentes, et, comme de raison, — à tout seigneur, tout honneur ! — j’ai dîné avec les ambassadeurs et les ministres, Si encore j’avais eu le prince Esterhazy à mon côté ! Mais, comme le dit le duc de Frias, au Congrès, en marquant les rangs, ils n’ont fait que des bêtises. C’est le vieux Fagol, ministre des Pays-Bas, que j’avais à mon côté. Il passe le premier, parce qu’il est le plus ancien ambassadeur en Angleterre. Après dîner, on a dansé. J’ai dansé. Mais un jeune Anglais est parfois plus ennuyeux qu’un vieux. J’ai renouvelé connaissance avec lady Worcester, que j’avais vue à Paris. C’est une gentille petite femme. Elle n’a pas l’air heureux. Mon mari, qui s’amusait beaucoup, a bien voulu s’en aller à une heure du matin. Oregs est à deux heures de Londres ; mais, comme tout le monde partait à peu près à la même heure, la route ressemblait à Longchamps. »

Ainsi, les fêtes succèdent aux fêtes, les présentations aux présentations. Dès ce moment, l’ambassadeur de France et sa femme sont adoptés par la haute société de Londres. La comtesse de Liéven et la princesse Esterhazy prennent sous leur patronage la jeune duchesse, que son âge d’ailleurs rapproche beaucoup plus de l’ambassadrice d’Autriche que de celle de Russie, et qui devient en peu de jours l’amie intime de la première.

A noter, au milieu de ces manifestations de sympathie, quelques notes discordantes. L’accueil fait à Decazes excite l’envie et la malveillance du duc de Frias, l’ambassadeur d’Espagne, fraîchement débarqué à Londres, et qui s’étonne de n’y avoir pas été reçu avec la même faveur que son collègue de France, ne comprenant pas qu’on lui en veut de représenter un gouvernement révolutionnaire. « On ne conçoit rien de si ridicule ni de si jacobin que ce petit nain de duc de Frias. Il fait l’occupation de tous les hommes des dîners où il se trouve, beaucoup plus préoccupé de ses oreilles que de ce qu’il mange, les deux coudes sur la table, quand il n’a pas un bras étendu sur le dossier du siège de sa voisine, laquelle lui donne de temps en temps des petits coups sur l’épaule pour attirer son attention. »

Un autre mécontent sans qu’on sache au juste pourquoi, c’est le comte de Munster, un jeune lord, membre du Conseil privé, qu’on dit fils du duc de Clarence et d’une actrice, et tout-puissant sur l’esprit du roi. Il est très prévenant pour Decazes ; mais il n’en est que plus dangereux. Ses prévenances indignent Louis XVIII, parce qu’il a surpris, dans les dossiers de police qu’on lui