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reine. L’opposition paraît croire que leur chute sera la suite inévitable de cette lutte. M. Tierney[1] me le disait hier comme une chose sur laquelle il n’avait aucun doute. Je ne partage pas cette opinion. Mais la position est des plus critiques assurément. Du reste, lui et les siens blâment la reine presque autant que les ministériels. Ils disent que c’est une folle, une tête perdue, qu’on a servie, au lieu de lui nuire, et à laquelle on a fait s’intéresser toute la nation, qui ne veut pas savoir si elle est coupable ou non et qui ne voit que les mauvais procédés qu’on a eus envers elle, dès le commencement de son mariage, et l’exemple que lui a donné le roi en ayant publiquement des maîtresses. Au surplus, M. Tierney, comme toute l’opposition dont il est le chef à la Chambre basse, pense à merveille sur les affaires de France et est tout à fait centre. Assurément, les ultras ne seraient pas contens de lui s’ils l’entendaient. Mais je vous assure que la gauche ne le serait pas davantage. Il croit que le gouvernement anglais pourrait bien finir par proroger le Parlement et laisser tomber ainsi l’affaire de la reine, qu’il pense qu’on n’oserait pas reproduire à une prochaine session. »

« 18 août. — La journée d’hier a été d’autant moins orageuse qu’on s’attendait qu’elle le serait beaucoup. La reine est arrivée à dix heures à la Chambre des lords, suivie ou précédée d’un millier de gens pour la plupart de mauvaise mine, ayant quatre hommes à cheval de la garde royale pour escorte. Elle s’est placée dans un fauteuil à droite du trône. Toute la Chambre s’est levée quand elle est entrée. Elle est vieille, courte, grosse et laide. Elle était étendue sur son fauteuil comme sur un canapé, le visage couvert d’un voile blanc. M. Tierney, que j’avais rencontré en arrivant, m’avait dit :

« — Vous allez voir la reine ; vous ne verrez pas grand’chose.

« Après les débats sur les deux propositions de l’opposition, celle d’ajourner jusqu’à la prochaine session et celle de convertir le bill en une accusation de haute trahison, les avocats de la reine ont été introduits[2] et Sa Majesté est allée se mettre en

  1. Un des chefs de l’opposition libérale dans la Chambre des communes et l’un des adversaires de Pitt dans les luttes oratoires qui eurent lieu à la tribune anglaise pendant la Révolution française.
  2. Le principal d’entre eux était Brougham, l’illustre homme d’État anglais, avocat et journaliste, entré au Parlement en 1810, et dont le procès de 1820 commença la grande réputation. Au moment même de ce procès, il fut accusé d’avoir voulu, tout en défendant la reine, servir les intérêts du roi. Sa conduite dément cette calomnie.