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elle en prenait une, elle se ferait catholique. Mais elle veut attendre, pour se décider, d’être plus âgée. Elle vient chez moi le matin et je crois que je la déciderai à se convertir. »

C’est Mme Fry qui voulut conduire la petite duchesse à la prison de Newgate, où on tenait enfermés toutes sortes de condamnés, hommes et femmes. « Il y en a qui sont toujours furieux. » On en comptait huit de ceux-là dans un seul cachot où entra Mme Fry en engageant la duchesse à y entrer avec elle. « J’ai obéi, et tout aussitôt le tapage a cessé. On nous a montré un jeune homme qui devait être exécuté le lendemain. »

Un autre jour, c’est à la cour de justice que se rend la duchesse. « J’ai été voir juger. Mon mari m’a confié une grave besogne, c’est de lui faire un résumé du procès auquel j’assisterai. Comme les débats ont lieu en anglais et que je dois les résumer en français et de mémoire, ce sera difficile. M. Séguier, un des secrétaires de l’ambassade, dit que je n’ai pas mal commencé. Dans l’affaire que j’ai suivie, il n’y avait pas le plus petit mot pour rire, si ce n’est au cours de la déposition d’une malheureuse fille qui servait de témoin contre un homme à qui elle avait tenu rigueur. En réfutant son témoignage, celui-ci a mis en cause un autre individu, son rival. Et la fille de s’écrier :

« — Pauvre amour ! Il ne faut pas parler de ses étourderies.

« Comme le juge lui demandait ce qu’elle entendait par étourderies, elle a dû avouer que l’individu que l’accusé attaquait et qu’elle-même défendait avait été arrêté chez elle, dans son lit, et pendu. Je me suis étonné que le juge n’eût pas interrompu cette conversation. On m’a dit que c’était à dessein, parce que l’immoralité des accusateurs fait trouver les accusés moins coupables. »

En mettant en lumière la rare intelligence de la duchesse, les citations qui précèdent font mieux comprendre comment et pourquoi elle prit si vite dans la société de Londres la place qu’elle y occupait quelques mois après son arrivée. L’ambassade de France était devenue le rendez-vous de tout ce que comptaient d’élégant et de distingué la ville et la Cour. La comtesse de Liéven et la princesse Esterhazy s’y présentaient à tout instant. Si l’ambassadrice était alitée, elles s’installaient près de son lit et lui tenaient compagnie. Si sa santé le permettait, elles l’emmenaient dans leurs promenades et leurs visites, ou l’aidaient à faire les honneurs de son salon, où se pressaient, après avoir laissé leur importance à la porte, les hommes d’État les plus qualifiés.