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a d’autre rapport que l’obéissance commune au vice-roi qui réside à Simla ou à Calcutta. L’Inde n’est pas une nation, ce n’est qu’une expression géographique. » Mais j’ai déjà vécu quelque temps. Dans mon enfance, j’ai entendu dire la même chose de l’Allemagne et de l’Italie ; et, avant que je fusse sorti de la jeunesse, l’une et l’autre étaient devenues de grandes, de puissantes nations. Bien qu’elle ne soit pas près d’avoir la même fortune, dès aujourd’hui l’Inde existe et elle parle ; elle parle très clairement. Je m’efforce d’analyser et d’interpréter les témoignages qu’elle m’a fournis, en leur assignant un certain ordre systématique qui en fait les anneaux d’une chaîne, les termes successifs d’un raisonnement continu. Je les ai comparés avec les témoignages anglais, contrôlés par la statistique officielle, mais sans m’exagérer, — on vient de le voir, — la valeur des uns ni l’exactitude de l’autre. Comme j’ai à condenser en peu de pages des faits et des idées à l’expression desquels un volume suffirait à peine, c’est aux écrivains indigènes que je dois laisser la justification complète de mes brèves affirmations. J’ai suivi leur pensée jusqu’au bout ; je l’ai même suivie plus loin qu’ils ne l’ont fait eux-mêmes. Là où ils s’arrêtent, hésitans, un peu effrayés, je me suis permis de conclure à leur place. Enfin ils m’ont révélé — quelques-uns sans le vouloir et sans le savoir — la psychologie de leur race, ses dons, ses aspirations, ses infirmités, sa force et sa faiblesse, ses chances de relèvement comme aussi les causes internes qui retardent son affranchissement et l’ont empêchée jusqu’ici de prendre rang parmi les grandes nationalités modernes.


I

La première pensée qui vient à l’esprit lorsqu’on aborde le problème indien, c’est de démêler, parmi les événemens qui viennent d’affliger l’Inde, les faits passagers et accidentels, les causes profondes et permanentes qui, ramenées par les mêmes circonstances et opérant dans les mêmes conditions, aboutiront aux mêmes tristes résultats, toujours aggravés. On se convainc très vite que la famine et la peste appartiennent à cette seconde classe de phénomènes, qu’elles sont les conséquences directes, nécessaires, inévitables de la misère, d’une misère sans analogue et sans nom, auprès de laquelle l’indigence de nos grandes villes d’Occident semblerait presque un état de bien-être et de confort. Il y a